The Bastard Prince

15.

Reagan

Je n'ai pas retiré la totalité de ses souvenirs à Haayal. À vrai dire, je n'ai pas pu m'y résoudre. Elle a déjà presque tout perdu après la mort de ses parents, qu'elle ignore. Je n'ai pas voulu lui enlever véritablement les seuls souvenirs qui lui donnent l'impression d'être aimée et protégée par quelqu'un. 

Même si certaines fois, je me surprends à espérer un jour devenir cette personne, aussi impossible que cela paraît être. 

Certains de ses souvenirs sont donc simplement scellés dans sa tête, en attendant le bon moment pour se manifester, pour la réconforter. Même si ce quelqu'un est la personne la moins recommandable qu'il soit, il l'a accueillie et élevée comme sa propre fille. Donc, j'ai appelé la vieille sorcière au service de ma mère. 

Une vieille femme "morte". Une habitante de Necropolys. 

Je lui ai demandé de laisser à Haayal des souvenirs qui pourraient lui revenir grâce à des éléments en rapport avec ces souvenirs faisant ainsi de ceux-là des souvenirs scellés, et non disparus... Des souvenirs inoffensifs, qui ne raviveront pas sa haine à mon égard.

Même si je la mérite. 

Le reste, elle lui a fait oublier pour toujours. Elle lui a fait oublier qu'elle me connaît depuis plus longtemps qu'elle ne le pense. Elle lui a fait oublier que je suis son ennemi depuis bien plus longtemps qu'elle ne le pense. Cela vaut mieux pour elle. Cela vaut mieux pour moi. Tout le monde est gagnant... Tout le monde, sauf moi. Moi. Le pantin de la méchante reine. Moi. La marionnette de ma génitrice. 

Moi. Reagan.

Un pauvre petit "roi" merdique qui a été contraint de détrôner son propre frère pour obtenir les vulgaires miettes d'approbation de sa mère. 

Un sale imposteur...une fraude. 

Voilà ce que je suis. Voilà ce que mère adore me rappeler quand elle voit que je suis de moins en moins déterminé à lui obéir. Saya est et – a toujours été – tout le contraire, et je ne peux m'empêcher de l'envier pour ça. Saya a toujours ignoré ce que ma mère lui lançait, du moins c'est l'impression que j'avais quand je l'observais. Malgré les insultes et la haine qu'il a reçu, il est toujours resté lui-même. 

Malgré ce qu'on a dit de lui, il a toujours gardé la tête haute en public, en enfouissant sa tristesse au plus profond de lui-même, ne la laissant jamais paraître. Même en s'adaptant à l'image que les villageois voulaient de lui, il ne s'y est jamais perdu. Il n'a jamais arrêté de faire ce qu'il aime, quitte à s'attirer les foudres de Mère plus d'une fois. Il a continué à jouer du piano, à lire des livres à longueur de journée...et il assumait complètement ses passions. Moi, je n'y arrive pas. Je me suis toujours caché pour danser. 

Je détesterais que quelqu'un l'apprenne, parce que je sais très bien quelle serait la réaction des gens. Je détesterais qu'on me regarde d'une autre façon que celle dont on m'a toujours perçu. Ils me détesteraient à mon tour, et ma mère me punirait pour cet écart parce que je "lui ferais honte". Après ça, tout redeviendrait comme avant. Pour tout le monde, le départ de Saya n'a rien changé, mais pour moi, c'est l'inverse. Je sombre un peu plus chaque jour dans la toxicité de mes propres pensées, cherchant à correspondre à ce schéma royal que l'on m'impose, sacrifiant mon bien être et ma santé mentale pour y parvenir.