The Bastard Prince

34.

Saya

Je sors de la salle, tandis que Haayal se laisse aller contre le mur, secouée de pleurs incontrôlables. J'ai tellement envie de me retourner et d'aller la prendre dans mes bras pour faire cesser ses pleurs. De lui dire que je ne pense pas réellement ce que j'ai dit. De la supplier de me pardonner. Je suis sur le point de le faire, mais je me retiens, et accélère la cadence. Chaque pas qui m'éloigne d'elle m'emplit d'une peine extrême, et mes yeux me brûlent de larmes que je ne laisse pas couler. Je me répète que c'est pour son bien, et que je ne peux la protéger de moi que comme ça.

Je ne peux pas l'aimer. Je n'en ai pas le droit.

J'ai perdu le contrôle, et Yaas lui a fait du mal. Il lui a dit quelque chose, mais je ne me souviens pas quoi.

Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Mais je sais qu'entendre sa voix m'arrache un sourire que je peine à réfréner. Je sais que, dans ses yeux, je veux me perdre à jamais. Je sais que la voir sourire me donne envie de l'embrasser. Je sais que je voudrais qu'elle soit mienne, pour l'éternité.

Je sais aussi qu'elle et moi ne sommes pas destinés. Je sais que je dois la protéger, même si elle ne veut pas que je le fasse. Elle ne doit plus m'approcher, et je dois arrêter de l'aimer.

Ca me paraît impossible, mais dans son intérêt, je dois m'y faire. Elle mérite tellement mieux que quelqu'un comme moi. Quelqu'un qui ne lui fera pas de mal, ni physiquement, ni mentalement. Je ne sais pas ce qu'elle me cache, et une partie de moi veut le découvrir. Mais je sais que c'est probablement à l'origine de la souffrance qu'elle veut me dissimuler, alors je ne lui demanderai pas. Je ne lui demanderai jamais. Je dois m'éloigner d'elle, et agir comme j'agissais avec elle les premiers jours.

Quand j'y repense, je crois que je l'aimais déjà dès ce moment. Je ne voulais juste pas le voir.

Je ressentais ce besoin d'être constamment près d'elle, de la faire parler avec moi même s'il fallait que je la fasse sortir de ses gonds. Ce besoin de la faire réagir à mes actions, et voir la colère peindre son joli visage.

Voilà un mois que je me comporte comme le plus grand des idiots avec elle, en espérant qu'elle finira par comprendre pourquoi j'ai fait ça. Je le lui ai expliqué, c'est à elle d'accepter. Accepter que "nous" ne voudra jamais dire elle et moi. Accepter que nous ne formerons jamais un couple, même si nous nous aimons.

Je croise le regard de Jun, et le toise avec dédain. Sa mâchoire se contracte et il serre les poings avant de se détourner de moi et de courir vers ma chambre, où se trouve Haayal. Tant mieux, elle a besoin d'un soutien qui n'est pas le mien.

Je dévale les escaliers et me rend dans la salle du piano, pour extérioriser mes émotions.

Il faudrait peut-être que je songe à trouver un autre moyen de me défouler...

Ignorant cette pensée, j'ouvre avec force la porte de la salle où je passe le plus clair de mon temps depuis que j'habite le château et vais m'asseoir au clavier. Du coin de l'œil, je vois Saeem m'observer, mais je l'ignore. Je pose mes doigts sur les touches et commence à jouer. Les notes s'élèvent dans les airs, tantôt fortes, tantôt douces. J'alterne irrégulièrement la vitesse avec laquelle je joue, et les rythmes fusent de mes doigts qui courent sur le clavier. Je retranscris toutes mes émotions des derniers jours en musique, en espérant ne plus les ressentir, mais c'est inutile. Chaque accord qui résonne sous mes mains me rappelle les traits de la mercenaire, troublés par la tristesse que je lui ai imposé par mes actes; chaque accord me déchire l'âme.

Si seulement je ne l'avais pas rencontrée, je n'aurais jamais à souffrir de sa souffrance. Et elle n'aurait pas à souffrir de mon ignorance.

Je n'avais qu'un seul objectif avant qu'elle arrive dans ma vie. Reconquérir le royaume qu'on m'a volé. Je dois me tenir à ça, pour parvenir à faire table rase de ce qu'il s'est passé avec Haayal. Rien ne sera jamais possible entre elle et moi, alors autant se faire à l'idée le plus tôt possible et passer à autre chose.