26.

29 2 2
                                    


Reagan

Le clocher du village me réveille de son quotidien tintement grave. J'ouvre les yeux, les dernières traces de ma torpeur nocturne laissant place à une fatigue étrange. Malgré mes neuf heures de sommeil, j'ai l'impression de ne pas m'être vraiment reposé. Il m'est même impossible de me rappeler des rêves – ou cauchemars – qui ont peuplé mon esprit pendant la nuit. Incapable d'ordonner à mes muscles de bouger pour l'instant, je regarde le plafond pendant longtemps. 

Je ne sais combien de temps est passé avant que je ne me décide à sortir du lit. L'aube tiède s'infiltre dans la pièce de ses doux rayons, la remplissant d'une froide lumière rosée. Je m'assois sur mon lit et me rends compte que je serre l'édredon entre mes bras comme si ma vie en dépendait, sans même savoir pourquoi. Je pose les pieds au sol, la froideur du carrelage ivoire faisant frissonner mon corps encore bercé par la chaleur de mes draps et jette l'édredon par-dessus mon épaule. Je laisse s'attarder mon regard sur la pièce. Je constate que les traces de la dispute d'hier ont été effacées. Plus aucun morceau de céramique ne jonche le sol.

Comme si rien de tout ça ne s'était passé. Comme si j'avais tout imaginé.

J'étire mes bras au-dessus de ma tête et me lève, les yeux rivés sur la pièce. Quelqu'un a dû passer pour la ranger car elle est parfaitement ordonnée. Beaucoup trop ordonnée à mon goût. Mon bureau, qui fait face à mon lit, a été débarrassé de tous les livres qui y étaient posés. La chaise en velours de mon bureau a été poussée contre celui-ci. Ma bibliothèque, sur le mur perpendiculaire au bureau, paraît avoir perdu vingt ans sans la poussière qui la recouvrait ces derniers jours. Les livres sont parfaitement rangés et classés. 

Mon armoire, à gauche de mon lit, est fermée, alors que je ne me souviens clairement pas de l'avoir fermée hier. J'ai la fâcheuse habitude de toujours la laisser ouverte... J'ai interdit aux domestiques de rentrer dans ma chambre. Pour éviter qu'ils ne découvrent ce que j'ai...emprunté – techniquement dérobé – dans le bureau de Père, certes, mais également parce que dans ce bazar je ressens une familiarité que je ne trouve nulle part ailleurs. Toute ma vie est organisée selon le bon-vouloir de tout le monde, sauf le mien. Alors là, dans ma chambre, dans mon bazar – si on peut vraiment appeler ça comme ça, ce ne sont que quelques livres qui traînent... – je me sens chez moi, pour de vrai. 

Parce que même si ce grand château m'a servi de terrain de jeux toutes ses années d'insouciance, je ne le vois plus comme le fantôme d'un passé mélancoliquement révolu. Je ne le vois comme le mirage d'un endroit jadis sanctuaire de rires. Rires qui, au fil des années, sont devenus des cris et un silence trop pleins de pleurs étouffés. Manifestement, les domestiques n'ont pas respecté mes ordres. Ce n'est pas surprenant, vu qu'ils sont au service de Mère depuis bien longtemps avant ma naissance. Reste à savoir s'ils n'ont pas trouvé quelque chose à lui rapporter.

Cette journée s'annonce déjà mal, et le soleil vient tout juste de se lever...

Je ne me laisse pas abattre, et marche vers mon bureau pour en fouiller les tiroirs à la recherche du portrait de Dyaneyra. Je soupire de soulagement quand je réalise qu'il est toujours ici, à sa place, dissimulé entre deux piles de parchemins. Je referme le tiroir, à clé, puis me dirige vers mon armoire et l'ouvre. Mes chemises et costumes sont tous accrochés sur des cintres, bien repassés et triés par couleur. Et ce n'est clairement pas le genre de détails auxquels je prête attention. J"extirpe de l'armoire une chemise blanche à col plongeant. Je laisse ma main parcourir le tissu et sa douceur. 

Le matériau qui compose le vêtement est sûrement du satin, vu sa brillance. Je n'ai encore jamais mis ce haut et comme la moitié de ceux que je porte au quotidien, elle ne possède pas de boutons. C'est une demande que j'ai faite à notre couturière car je les trouve bien peu pratique. J'enfile donc la chemise et m'affaire à chercher un bas qui irait avec. J'attrape un ample pantalon à pinces beige, et le tend devant moi pour l'observer. A taille haute, il est cintré à la taille uniquement. Le reste de l'habit est coupé amplement. Je n'ai aucune raison de m'habiller de façon plus formelle, alors ça fera l'affaire. 

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant