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Nesayem

— Oui, je le veux, répond Reagan au pasteur.

Je scrute nerveusement n'importe quel autre point dans la pièce que le pasteur, Reagan, la mère de ce dernier ou mes parents. Tous les yeux sont rivés sur moi, et les chuchotements d'approbation dans la salle me donnent la nausée. La cérémonie de mariage n'a pas encore été interrompue – comme il était initialement prévu par Reagan – avec l'entrée de Saya dans la capitale. 

Et le temps presse, parce que dans quelques instants, je ne pourrai plus jamais prétendre au trône d'Eligério. Je serai coincée dans ce royaume, aux côtés d'un homme que je n'aime même pas, ayant pour peuple des gens qui ne m'accepteront jamais. Le pasteur va me demander de prononcer mon vœu à mon tour, et je vais devoir répondre. Je vais devoir répondre, et accepter mon destin.

Destin selon lequel tout ce dont j'ai rêvé ne restera qu'au stade de rêve. Je ne serai jamais reine d'Eligério, mais celle de Satylia. Et en plus de ça, je vais devoir contribuer au meurtre de quelqu'un dont je ne suis pas certaine de la dangerosité. Quelqu'un en qui je me reconnais.

— Nesayem Al-Qamar d'Eligério, voulez vous prendre pour époux Reagan Jalàkas de Satylia ?

Non.

Non.

Non.

Je ne veux pas.

On voit que je ne veux pas. S'il vous plaît...

J'aimerais que mes pensées soient entendues par toute la salle. J'aimerais que quelqu'un voie que je ne veux pas être mariée, pas maintenant. J'aimerais qu'on comprenne que je ne veux pas de cette vie. Je ne veux pas de cette vie, mariée à un homme que je ne connais que depuis quelques mois. Même si je sais que ce n'est pas possible, je le pense de toutes mes forces, en priant désespérément pour que quelqu'un m'entende et vienne à mon secours. Mes jambes sont défaillantes sous mon poids, et je fais tout mon possible pour ne pas céder à la brume qui se fait dans ma tête. Je frissonne, et je sens mes mains trembler de façon incontrôlable autour du bouquet de fleurs blanches que je tiens dans les mains.

Comme la neige éternelle de ce royaume.

Blanches...comme ma robe.

Comme la décoration dans la salle.

Comme toutes les tenues de tous les invités dans toute la salle.

Comme la moindre chose dans cette pièce.

Comme la couleur qui me fait défaillir.

Je n'arrive pas à répondre. Je ne peux pas.

Je n'y arrive pas.

— Mon enfant, est-ce que tout va bien ? m'interroge le pasteur. Vous êtes pâle...

Comme quoi, on gagne en âge et pas forcément en perspicacité...

— Oui...très bien même...rétorqué-je en me retenant de faire du sarcasme. Je–

Quelqu'un enfonce la porte et cours jusqu'à l'autel, affolé, et me coupe. Un homme d'une cinquantaine d'années, les quelques cheveux qui lui restent parsemant son crâne presque chauve, vient de rentrer. Les boutons dorés de son uniforme blanc – lui aussi – menacent de craquer à chaque pas qu'il fait, tant ils sont tendus par le ventre proéminent de l'homme. Sa poitrine est décorée de multiples médailles étincelantes, gravées des armoiries du royaume. J'en déduis qu'il doit avoir une place importante dans l'armée, vu son accoutrement et les médailles qu'il arbore. Il crie à Reagan:

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant