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Saya

Voilà deux jours que Haayal a prétendu retourner l'imbécile qui m'a servi de frère jusqu'au couronnement. J'ai un mauvais pressentiment à propos de ça, mais je considère celui-ci comme un simple surplus de stress qui se manifeste maintenant que je suis à nouveau seul. Pour l'instant, je décide de m'installer au piano et de jouer le Lac des Cygnes. 

La douce amertume de la nostalgie se fait ressentir en moi, dès que la première note retentit dans l'immensité de la salle. Je te revois danser sur cette musique avec la grâce et la douceur qui te sont propres, rayonnante telle l'étoile que tu étais dans la nuit ténébreuse qu'est ma vie. Je suis happé dans mon propre esprit, tes joyeux yeux clairs revenus y briller de leur bel éclat azur. 

Je revois ton visage crispé par la concentration, fronçant les sourcils, un sourire mécanique aux lèvres, concentrée sur les mouvements que tu faisais...Je te revois, sur la pointe des pieds, tournant sur toi même en battant des bras de façon lente et gracieuse, telle le cygne majestueux dont le piano compte l'histoire. 

Comme si le château m'avait entendu penser, la pièce s'illumine de la couleur exacte des yeux de celle que la vie m'a ravi. 

Un bleu à la fois délicat et éclatant. Un bleu douloureusement trop vivant, qui me rappelle que tu ne l'es peut-être pas. Un bleu qui me rappelle également de garder espoir malgré cette possibilité. Mais cette couleur, c'est celle qui ravive la douleur de ton départ. C'est la couleur de la tristesse. La couleur de ce sentiment qui emplit mon âme depuis que tu n'es plus à mes côtés. 

Et ce constat, me plonge dans une colère sombre, que je déverse dans le morceau, espérant l'évacuer de mon corps, en vain. Des tremblements secouent l'instrument, et mes doigts par la même occasion. Mille questions se posaient à moi. 

Pourquoi a-t-il fallu que tu viennes à ma rencontre ? Pourquoi a-t-il fallu que je te perde ? Et surtout, pourquoi a-t-il fallu que je m'attache autant à toi alors que tu allais partir? Pourquoi me suis-je confié à toi ce jour-là ? 

"Ça fait sept ans que je te vois souffrir en silence de quelque chose que tu ne veux pas me dire ! Ça fait sept ans que je vois souffrir mon meilleur ami, Saya ! Je t'en supplie, dis-moi ce qui ne va pas."

Malgré ce que tu m'as dit, je ne peux m'empêcher de me demander si je ne me suis pas trompé sur ton compte.

Je finis le morceau à la hâte, sa vitesse concordant avec celle à laquelle mes pensées traversent mon esprit. 

Brusquement, j'arrête de jouer. 

Pour autant, la mélodie si familière à mes oreilles continue de résonner entre les murs de la salle, les touches du piano s'actionnent toutes seules. Une question vient me tarauder, me faisant oublier toutes celles qui m'étaient venue avant: 

Depuis quand suis-je si sentimental ? 

Un rire incontrôlable franchit la barrière de mes lèvres. Un rire tel, que j'ai du mal à reconnaître ma propre voix. Un rire froid, sans la moindre émotion. 

Je me suis laissé distraire et j'en ai oublié ma tâche principale: récupérer mon royaume et ma couronne. Je devine à présent d'où venait le mauvais pressentiment de tout à l'heure. Ou plutôt... de qui. Et cette personne, c'est Haayal. Je ne sais pourquoi, ni comment. 

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant