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Haayal

Sept mois.

C'est le temps qui reste à vivre à Saya. Le temps qui me reste avant d'assumer mes mensonges.

Sept mois.

Et j'aurai tué celui que j'aime.

Sept mois.

Et mon âme sombrera dans la sombre abîme de mes actes, plus obscurs encore, sans jamais pouvoir en ressortir.

Sept mois...

C'est le temps qu'il me reste avec Saya.

Et le dernier mois, nous avons très peu parlé. Après notre combat, que j'ai gagné, nous n'avions plus interagi si ce n'est pour se saluer – et encore, quand il daignait répondre.

***

Après seulement cinq minutes de duel, je suis debout au-dessus de lui, un pied sur sa poitrine, mon arc pointé dans sa direction. Au lieu de porter une expression effrayée comme toute personne normalement constituée, Saya sourit et me lance:

— Tu es beaucoup plus coriace que tu en as l'air, mon cœur.

***

A chaque fois que je rentrais dans une salle, il se débrouillait pour en sortir. Quand il ne le faisait pas, il se contentait de m'ignorer, et je déteste ça. Le traitement du silence, surtout de sa part, me blesse plus que je ne me plais à l'avouer. Jun l'a remarqué et a essayé de lui en parler, mais Saya lui a fait comprendre qu'il n'a pas intérêt à se mêler de ça. 

Une atmosphère tendue règne donc sur le château quand nous sommes dans la même salle que Saya. Quand il partait s'isoler de notre présence, je le suivais discrètement pour voir ce qu'il faisait. La plupart du temps, il s'entraînait à utiliser ses pouvoirs, même si pour moi, il n'en a pas besoin. J'en ai donc conclu que c'était plus pour s'occuper l'esprit qu'autre chose. 

Son état ne s'est pas amélioré, au contraire. Sa peau devient de plus en blême, et les espèces de brûlures sur ses mains sont remontées jusqu'au début de ses avant bras. La couleur de ses iris a viré à un rouge presque noir, et le blanc de ses yeux semble noircir au fil des jours lui aussi. Il ne va pas bien, ça se voit. Et je suis probablement responsable de ça.

Aujourd'hui comme les trente et un jours précédents, je suis Saya jusqu'à la cour du château et me dissimule derrière un reste de colonne, l'observant jeter toutes sortes de sorts. Il est vêtu d'une ample tunique noire et d'un pantalon assorti, et à ma grande surprise, il est pied nu. Son corps, qui a encore maigri, me meut dans une suite de mouvements complexes, faisant naître des ombres et de la fumée noire derrière lui. Ce qu'il a créé paraît être doté de sa propre volonté, bien qu'il les contrôle. 

Les ombres ont l'air d'être vivantes quand elles sortent de la paume de ses mains. Elles forment des silhouettes squelettiques et immatérielles, et la fumée noire que Saya a créée les entoure. Mais plus Saya accélère, plus la fumée remplit tout l'espace. Bientôt, je me retrouve à la respirer. Elle est tellement opaque que je distingue plus l'entrée. Mes poumons me brûlent, et je ne peux pas m'empêcher de tousser. J'entends des pas arriver, mais je n'arrive pas à bouger. Ma tête tourne, et l'environnement autour de moi ne forme plus qu'un amas de formes aux contours floutés. Le jeune prince saisit mon bras et me fait me lever. Il chuchote quelque chose que je ne comprends pas. Aussitôt, la fumée et les ombres disparaissent, et Saya me hurle:

— Tu es folle ou quoi ? Tu vois bien que la cour est remplie de fumée, pourquoi es-tu là?

Je tente de bouger les lèvres pour répondre, mais je n'y arrive pas. La brûlure dans mes poumons est toujours aussi lancinante, et je ne cesse de tousser. Je me force à garder les yeux ouverts malgré l'envie pressante de les fermer. J'entends Saya m'appeler, mais le son de sa voix me paraît lointain, tellement que je me demande si je ne l'imagine pas.

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant