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Saya

Après la découverte inattendue sur ma généalogie, je me traîne jusqu'à la pièce qui me sert de chambre, l'estomac retourné par tout ça. Je me contemple dans le miroir fissuré accroché au mur, que je d'ailleurs n'ai remarqué que ce soir. Ma peau a perdu son éclat, qui n'est plus qu'un souvenir remplacé par une pâleur maladive. J'ai maigri: l'angle de ma mâchoire est plus distinct, mes pommettes sont plus saillantes. Mes yeux sont rouges et injectés de sang. D'énormes cernes brunâtres ornent leur dessous. 

C'est juste la fatigue, et le manque de nourriture. Rien de plus...Ce n'est pas si j'avais fait de la nourriture une priorité depuis que je suis en cavale. 

Je me laisse mollement tomber sur le matelas de fortune sur lequel je fais ce que tout le monde appelle "dormir" - et ce que moi j'appelle tenter-de-tomber-en-vain-dans-les-bras- d'une-divinité-mythologique-à-laquelle-personne-ne-croit-plus-mais-dont-tout-le-monde- continue-de-citer-le-nom-pour-paraître-plus-cultivé - et ferme les yeux en quête d'un repos que je pensais fâché contre moi.

***

Le jour se lève à présent. La douce lumière de l'aube vient caresser mes yeux clos pour les faire s'ouvrir.. À ma grande surprise, j'ai réussi à m'endormir comme le reste du commun des mortels. 

Si c'est à refaire, rappelez moi de sécher les cours de langue morte. J'en ai marre de parler comme mon précepteur.

Et la première chose - la deuxième en l'occurrence - qui me traverse l'esprit est la partition que j'ai achevée le jour du couronnement. Je me redresse, sors mes pieds de mon lit et me lève. Je marche jusqu'au meuble en ruine qui me fait office d'armoire, écartant les cintres des vêtements - qui étaient déjà là à mon arrivée au château - pour trouver le veston que je portais le jour où tout à basculé...

Cette phrase est digne des débuts des pièces de théâtres horribles que mon précepteur me faisait lire..

J'en tâte les poches, un renflement subtil sous mes doigts me fait mettre la main dans la poche droite. Les feuilles de la partition sont toujours là, pliées en quatre et étonnamment intactes. Je les déplie avec soin et les tends devant moi. Je lis les notes et rythmes, qui résonnent dans ma tête comme si un piano s'y trouvait. Et comme les notes de la fin de cette partition, son titre me vient naturellement. Je ferme les yeux et formule en silence mon souhait d'avoir une plume et de l'encre pour pouvoir – enfin – donner un nom à cette composition. Mes paupières se rouvrent sur les objets de mon souhaits, apparus lévitant devant moi. Je saisi la plume et la trempe dans l'encrier, qui flotte toujours dans l'air et écris en en-tête de la partition:

The Bastard Prince

Depuis que je sais d'où je viens réellement, j'ai l'impression que quelque chose s'est libéré en moi. Je ne saurais dire quoi, mais je le sens. Je peux enfin nommer cette œuvre qui est la mienne. Cette œuvre, qui traduit en musique mon histoire. Elle n'avait pas de nom parce que je n'en avais pas réellement un non plus. Et maintenant, maintenant que je possède un nom, je me sens plus confiant en pensant à la suite.

Saya Gylden de Criistalya. 

De Necropolys.

Le titre de la partition inscrit, je la pose sur mon "lit" et sors de ma pièce. Ce que j'ai dit à Haayal à propos du contrôle de mes pouvoirs me revient en mémoire. La seule fois où je suis véritablement parvenu à le faire, c'était dans une situation de danger imminent. Ça m'avait dépassé et même à l'heure actuelle je ne comprends toujours pas comment j'ai fait. Mais Haayal, elle, avait directement compris que c'était lié à mes émotions. Sans même que je n'en parle. J'entends mon...alter-ego me chuchoter:

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant