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Saya

"Elle m'a manqué". 

Telle est la première chose qui me traverse l'esprit quand je sens sa présence dans la salle. Je ne me suis pas encore tournée, mais je sais qu'elle est là. Je le sens, au plus profond de moi-même. Je continue cependant mon morceau comme si je ne l'avais pas remarqué. Contrairement à la première fois, elle est accompagnée de deux hommes.

Depuis que Yaas et moi "cohabitons", j'arrive à identifier une personne sans avoir besoin de la voir. J'arrive à sentir son énergie. Et c'est plutôt pratique.

Je laisse Haayal s'avancer vers moi, sentant chacun de ses pas faire vibrer son aura. Elle crie à ses acolytes de ne jamais toucher le piano, et je poursuis mon interprétation du troisième mouvement cette sonate - dont j'avais oublié le nom. Enfin, jusqu'à ce qu'une tempête prenne la salle quand je joue les premières notes.

Le voilà, le titre de la sonate: La Tempête

Je dois avouer que cette sonate me correspond parfaitement. Tempête, que je pourrais être, vu le chaos qui m'emplit et la destruction que je laisse derrière moi. Peut-être la suis-je d'ailleurs déjà, cette tempête. 

Parce qu'en moi, tout fait rage. La colère s'écrase en vague violente sur le reste de mes émotions, les noyant une à une. Mais la vengeance, elle nage tranquillement à la surface de cet océan houleux qu'est ma personne. Elle y nage, sans jamais y sombrer, soutenue par la bouée de mes sentiments les plus sombres.

La vengeance. La colère. La rancœur. 

Elles font rage dans mon esprit, jusqu'à complètement le submerger. Et c'est pour ne pas que cette tempête mentale m'engloutisse encore une fois sous ses eaux obscures que je l'exprime en un violent mélange de sons et de nuances. Tempête qui prend vie dans la salle par la même occasion. Tempête qui persiste en moi depuis que j'ai l'âge de m'en souvenir. Et jusqu'à présent, je croyais que rien ne la calmerait jamais.

Et puis elle a fait irruption dans ma vie.

Depuis, je ne me suis jamais senti aussi calme et apaisé intérieurement. Mais, je sais qu'elle est la tentation à laquelle je ne dois céder sous aucun prétexte. Elle est l'arbre dont je ne dois pas cueillir le fruit. C'est dangereux pour moi...

Mais surtout, ça l'est pour elle.

Aujourd'hui cependant, je m'accorde un petit écart. Je me permets, depuis notre première rencontre, de me montrer doux avec elle. Alors, quand j'ai fini mon morceau et me suis levé pour lui faire face, je fait glisser avec délicatesse sa cape derrière sa tête, désireux de voir le visage qui m'a délicieusement hanté ses dernières semaines.

Elle est là, devant moi. Enfin.

Je retrouve la beauté de ses cheveux sombres. Elle les a tressé à la racine et laissé le reste détaché de parts et d'autres de sa tête. Je contemple les onyx avec lesquels elle voit le monde, avec lesquels elle pose sur mes mains un regard inquiet. J'imagine qu'elle se questionne sur leur apparence, mes veines transparaissent noires à travers ma peau qui a perdu son éclat et sa teinte de bronze. Mon regard descends sur son nez, avant d'enfin arriver sur ses lèvres. Ses lèvres qui sont recouvertes d'un rouge presque noir. Cette couleur lui sied à merveille.

Tout lui sied à merveille.

Elle se mordille celle du bas, l'air préoccupé. Ce simple geste ne fait que renforcer son charme. Même si je ne l'avouerai jamais à voix haute, elle est magnifique.

The Bastard PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant