Chapitre 39 : La fin d'un cauchemar éveillé

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C'était toujours étrange quand le calme revenait après la tempête. Ce moment où plus rien ne semblait bouger réellement ou émettre de son... Le soleil avait fini par se montrer après d'interminables heures d'obscurité. Ses rayons avaient chassé les Ombres comme espéré et éclairaient maintenant le Havre. Le vent du large avait emporté la pluie et le ciel était devenu bleu-gris, terne et moucheté de nuages.

Assis contre un des mâts de l'Ecarlate, Ren n'arrivait pas à se convaincre que cette nuit de cauchemar était enfin terminée. Sa peau était pleine de sang, d'encre et de sel apportés par le large. Tout avait séché dès lors que l'orage avait cessé. A côté de lui, Stone était étrangement calme et ne pipait mot. Il ouvrait et refermait machinalement le barillet de son pistolet depuis quelques temps, vérifiant si l'unique balle était toujours à l'intérieur.

Une couverture sur les genoux, Charlie grelottait à la fois de froid et de terreur, blottie contre Scorpio qui lui avait entouré les épaules avec ses bras. Lui aussi fixait dans le vide d'un air lointain. Epuisé, Luka était accoudé au bastingage et regardait la mer défiler sous la coque de l'Ecarlate qui prenait enfin la direction du port. Les rares survivants de l'équipage s'activaient pour mettre un peu d'ordre sur le pont. Des corps jonchaient ça et là sur le plancher, sous des draps tachés. A la barre Talia dirigeait son bateau, le regard voilé par l'épuisement et le chagrin. Elle semblait être une coquille vide...

Aucun mot ne sortit d'aucune bouche tandis que l'Ecarlate glissait le long d'un ponton pour s'y amarrer. Deux femmes et trois hommes de l'équipage se chargèrent d'amarrer le bâtiment avec d'épaisses cordes, puis on déploya la passerelle pour mettre pied à terre. Ren laissa son corps descendre sur le port et découvrit alors l'étendu des dégâts de la nuit.

Des bâtiments avaient brûlé et des foyers en train de mourir crachaient un peu de fumée et de cendre dans le ciel. Le sol était couvert de tâches de sang séché par endroit, encore frais par d'autres. Des gens tous plus esseulés les uns que les autres empilaient des cadavres sous des draps, ne sachant sûrement pas ce qu'ils allaient en faire. D'autres personnes balayaient distraitement les éclats de verre et de bois devant leurs boutiques, dont les fenêtres avaient été comblées par des planches. Tout était à reconstruire.

L'attaque massive des Ombres sur toute la ville du Havre avait été un massacre... Tout avait été détruit et des centaines de vie avaient quitté ce monde... Ren peinait toujours à réaliser qu'ils s'en étaient presque tous sorti. Qu'ils étaient vivants et que c'était terminé. Mais pour combien de temps ? Combien de temps avaient-ils avant la prochaine attaque de cette ampleur ?

Était-ce donc ça l'avenir qui les attendaient tous ? Un bain de sang quotidien ? Une vie où chaque journée devenait une lutte pour échapper à la mort ?

Ren rejoignit les autres qui s'étaient installés sur les marches en bois du ponton. Ce dernier était brisé par endroit et des planches flottaient maintenant à l'eau. Il s'assit à côté de Stone et se massa les tempes en soufflant longuement.

— Comment on peut encore être en vie ? balbutia Charlie. Je me souviens de toutes ces Ombres, partout, comment on a pu leur échapper jusqu'au matin ??

Elle réprima un sanglot et plaqua ses mains sur sa bouche. Scorpio lui posa une main sur l'épaule pour la réconforter. Il se coinça ensuite une cigarette entre les lèvres et l'alluma à l'aide d'un briquet en argent. Il tira longuement sur la cigarette et souffla un filet de fumée dans l'air.

— L'instinct de survie permet parfois des miracles, répondit-il. Les humains sont capables de véritables exploits lorsque leur vie est menacée...

Au bout du ponton, la capitaine Talia s'entretenait avec la quinzaine de matelots qui lui restait dans l'équipage. Elle semblait dénuée de toute émotion et parlait d'une voix monocorde. Elle eut l'air de donner plusieurs consignes à son équipage, puis ses matelots rejoignirent le pont de l'Ecarlate.

II) La mémoire des DouzeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant