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Chadi arriva à Séville avec le crépuscule. En descendant du camion il remercia une nouvelle fois le chauffeur routier qui l'avait amené dans la grande ville espagnole depuis la frontière avec le Portugal. Sans un sou en poche après sa fuite précipitée à Coimbra et toujours vêtu de son bleu de travail, le jeune Arabe n'eut pas d'autre choix que de pratiquer l'autostop avec l'espoir d'atteindre le Maroc, son pays natal, le plus vite possible. Muni de son passeport du royaume chérifien, il savait pouvoir entrer sur le territoire sans difficulté. Le plus compliqué serait de trouver un moyen de traverser le détroit de Gibraltar sans argent pour se payer le ferry. Mais il se disait qu'il gèrerait cet épineux défi le moment venu. Pour l'instant il se trouvait en Andalousie. La fatigue se faisait sentir au soir de cette folle journée, qui resterait à jamais celle de la rencontre avec la religieuse carmélite surnommée Marie-Ana et surtout celle de la récupération de la lettre secrète de Lucia dos Santos, la voyante de Fatima.


Chadi était résolu à affronter les soucis un à un et pour l'instant, son challenge le plus pressant consistait à trouver un endroit où passer la nuit.


En regardant s'éloigner le poids lourd qui venait de le déposer, le Maghrébin pensait à Paul : comment allait-il ? Avait-il réussi à prendre un avion pour la France ? Sans nouvelles depuis leur séparation à la hâte quelques heures auparavant, l'inquiétude le tenaillait. Il fallait qu'il l'appelle. Il ne tenait plus. Il regarda autour de lui et repéra un muret en pierres de faible hauteur qui délimitait probablement une propriété. Il sortit son smartphone de la poche de pantalon de sa tenue d'ouvrier, qu'il avait toujours sur le dos depuis Coimbra, et alla s'asseoir sur la petite muraille.


Lorsqu'il vit la date du jour sur l'écran de son i-phone, Chadi sentit un frisson lui parcourir tout le corps. On était le 13 juillet, à vingt-trois heures vingt-cinq. Le Marocain releva la tête, contempla les premières étoiles qu'on pouvait distinguer dans la voûte céleste et il murmura, songeur : « 13 juillet... on était le 13 juillet aujourd'hui ! Le jour anniversaire de la transmission des trois secrets par la Vierge-Marie à Lucia, à sa cousine et à son cousin. »


Le jeune garçon réalisa alors que lui et Paul avaient trouvé le quatrième secret également un 13 juillet ! Il eut un geste réflexe et tâta la poche intérieure de sa combinaison de travail. Il constata avec soulagement que la statuette de Marie s'y trouvait encore. Il se souvint qu'il lui faudrait en reboucher l'ouverture. Tout à coup, une connexion germa dans son esprit : le numéro de la chambre d'hôtel de Coimbra lui revenait à la mémoire. Le 137.Le 13 suivi du 7. Le treizième jour du septième mois ! Déjà pendant son enfance puis son adolescence, au Maroc, Chadi prêtait une attention particulière aux signes qui peuvent être envoyés aux humains, parfois à travers des nombres. La plupart des gens passaient à côté et ne les voyaient même pas. Mais lui avait grandi dans un environnement où ceux qui l'entouraient demeuraient sensibles, par tradition, aux messages envoyés par l'Univers et les dimensions supérieures. L'Arabo-Portugais ne croyait donc pas au hasard. Il était persuadé que rien ne se produisait fortuitement, que tout faisait sens. Sa conviction profonde le conduisait à penser que tout est écrit d'avance et que ce qui doit arriver adviendra forcément, inexorablement.


Mettant fin à ses cogitations, Chadi sélectionna Paul dans le répertoire de son portable et lança l'appel. Il tomba directement sur la messagerie vocale. Il fit une autre tentative qui n'aboutit pas davantage. Il attendit une dizaine de minutes et recommença encore. Sans succès. Voilà qui n'apaisait pas les craintes qu'il nourrissait au sujet de son âme-frère.


Il décida qu'il réessayerait plus tard puis se rappela qu'il devait se renseigner sur les événements qui, selon la sœur Marie-Ana, se seraient déroulés en Iran. Il inscrivit juste le mot « Iran » dans son moteur de recherche et pressa sur la mention « actualités ». Les articles de presse et les alertes qui s'affichèrent provoquèrent chez lui une vive consternation. Les battements de son cœur s'accélérèrent à la vue des termes « fumée », « sauterelles » ou encore « piqûres semblables à celles d'un scorpion ». Il fit évidemment le rapprochement avec l'extrait de la Bible que la religieuse du carmel de Coimbra avait mentionné lors de leur rencontre et dont il donna ensuite lecture à Paul dans la voiture de location après leur sortie du couvent.


Chadi comprenait maintenant ce qu'avait voulu dire la carmélite en affirmant que le « processus » était « enclenché ». Il mesurait avec effroi ce que cela signifiait. Il savait aussi que pour les musulmans, l'apparition et la propagation sur la terre d'une fumée sans feu faisaient partie des épisodes annonciateurs de la fin des temps. Ce moment fatidique que l'Islam nommait « l'Heure ». Celle du jugement dernier.


Le Nord-Africain rangea son téléphone et prit la figurine creuse de la mère du Christ dans ses mains. Il l'examina longuement et ne put s'empêcher de sourire en se rendant compte que l'inestimable document qu'elle renfermait avait attendu, pendant tant d'années, depuis l'an 2000, sur la table de chevet de la nonne Marie-Ana, sous le nez des autres pensionnaires du carmel.


Après un temps de méditation, Chadi remit le pieuxbibelot à sa place, dans son accoutrement de plombier, tout contre lui. Il seleva et ressortit son portable, y afficha le plan de Séville puis, à l'aide dela géolocalisation, commença à marcher vers le centre-ville. Il espérait yfaire une rencontre à la faveur d'une quelconque animation ou d'une fêtenocturne, ce qui lui offrirait peut-être une solution pour dormir sous un toit.En tout bien tout honneur, évidemment. Il fallait qu'il se repose avant de poursuivreson périple le lendemain en endossant à nouveau son rôle de gentilautostoppeur. Direction l'extrême sud de l'Espagne avant l'étapesuivante : Tanger, au nord du royaume du Maroc.

Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant