En serrant son ami Yassine contre ses pectoraux et en lui assenant de franches tapes dans le dos avec effusion sur ce parking du port de Tanger, Chadi sentit monter des larmes qu'il réprima aussitôt. Tous deux âgés de vingt-trois ans, ils se connaissaient depuis l'école maternelle et grandirent l'un et l'autre à Marrakech. Le départ pour la France du cuisinier les tenait éloignés depuis de longs mois mais leur complicité demeurait intacte. Yassine habitait maintenant à Mohammédia, une ville balnéaire importante située au bord de l'océan Atlantique entre Rabat, la capitale du Maroc, et la vaste métropole économique de Casablanca. Les habitants de celle-ci aimaient passer des week-ends à la mer à Mohammédia où de belles plages comptaient parmi les plus prisées de la région. C'est sur l'une d'elles que le copain d'enfance de Chadi avait trouvé un travail qui lui permettait de subvenir à ses besoins et de payer le loyer de son petit appartement. Sur la plage des Sablettes, Yassine gérait pour son patron les emplacements réservés par les touristes, souvent étrangers. Il veillait sur les parasols plantés dans le sable, parfois malmenés par le vent. À d'autres moments de la journée, il tenait aussi la roulotte de son employeur au comptoir de laquelle les vacanciers venaient acheter des boissons fraîches, des sandwiches ou encore des beignets et diverses pâtisseries marocaines.
Avant d'embarquer clandestinement sur le ferry assurant la liaison entre le sud de l'Espagne et Tanger, son bleu de travail l'ayant aidé à se faire passer pour un employé de la salle des machines, Chadi avait téléphoné à son ancien camarade de classe pour solliciter son aide. Bien sûr, il ne s'était pas confié sur les raisons de son retour inopiné au Maroc mais Yassine n'eut pas la moindre hésitation et accepta volontiers de lui offrir le gîte et le couvert pour quelques jours. Il avait même proposé spontanément à son pote de venir le chercher à l'arrivée du bateau avec sa modeste Peugeot d'occasion.
Une légère brise balayait le littoral et les installations portuaires. Sur le parc de stationnement, près de sa vieille voiture, Yassine, les bras tendus, posa ses mains sur les épaules de Chadi et, captant son regard en affichant un sourire ému, lui dit en arabe :
- T'as pas changé, mon vieux !
- Toi non plus, mais après tout ça fait pas si longtemps.
- Oui c'est vrai tu as raison. Mais ça m'a paru comme une éternité.
- Merci beaucoup d'être venu jusqu'ici pour m'amener chez toi, Yassine. Je te revaudrai ça. C'est vraiment sympa.
- Je sais que tu l'aurais fait pour moi si je t'avais demandé la même chose, pas vrai ?
- Si bien sûr. Mais ça fait quand même une sacrée trotte d'ici à Mohammédia. Tu as mis combien de temps avec ta chouette bagnole ?
- Un peu moins de quatre heures, en faisant une petite pause à mi-parcours. Veux-tu qu'on aille manger un petit morceau en ville ici à Tanger avant de prendre la route ? Tu as peut-être faim, non ?
- Oui un peu mais je préfèrerais ne pas traîner ici et repartir tout de suite si ça ne te dérange pas.
- Pourquoi veux-tu que ça me dérange ? Pas de souci. On est partis ! Mais dis-moi, où sont tes bagages ?
- J'en ai pas, confessa Chadi, penaud, en faisant un mouvement de dépit avec les bras. Puis il porta les mains aux poches du pantalon de sa tenue d'ouvrier plombier et ajouta : « j'ai même pas un seul dirham sur moi, ni le moindre euro, ni un dollar. Je t'expliquerai... »
- T'inquiète mon pote ! Tu n'as pas à te justifier, le réconforta Yassine en le poussant amicalement dans le dos vers sa Peugeot.
VOUS LISEZ
Le quatrième secret de soeur Lucia
غموض / إثارةUne histoire passionnante de 62 chapitres à retrouver ici à partir du samedi 13 janvier prochain puis chaque samedi à 13 heures. Paul, 25 ans, chef de rang dans un prestigieux palace parisien, menait une vie tranquille avec son compagnon, Chadi, un...