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Le jour suivant, Paul reprit le travail au George V. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Les touristes continuaient d'affluer en nombre en ce début d'été. Surtout des Américains. Très fortunés. Une majorité d'entre eux étaient des clients fidèles et revenaient chaque année. On comptait aussi pas mal d'habitués venus de différents pays du Golfe. Quelques riches asiatiques également. Dans le vaste hall de réception du palace ainsi que dans ses restaurants et ses couloirs, on entendait parler principalement l'anglais, l'arabe, le mandarin, le japonais et aussi, quoique dans une moindre mesure, le russe.


Pour sa part, Paul, outre le français évidemment, parlait impeccablement anglais, ce qui lui permettait de satisfaire au mieux la riche clientèle américaine ou anglaise. D'ailleurs, tous ses collègues maîtrisaient parfaitement la langue de Shakespeare, ce qui constituait une condition impérative pour être admis à occuper un poste au George V.


Pendant le service du déjeuner et alors qu'il venait de verser un excellent Saint-Émilion dans les verres d'une table rassemblant plusieurs membres d'une famille new-yorkaise, le jeune chef de rang sentit son téléphone portable vibrer dans la poche intérieure de sa veste. Dès qu'il le put, il jeta discrètement un œil sur l'écran de l'appareil et y découvrit l'identité de l'appelant, ou plutôt de l'appelante : « grand-mamie Claire - appel manqué » affichait l'i-phone. Paul poursuivit sa mission tout en se promettant de rappeler son arrière-grand-mère durant sa prochaine pause.


Quand celle-ci arriva enfin, le jeune homme se dépêcha de se rendre à la cafétéria, au sous-sol de l'établissement, où les employés avaient coutume de prendre leurs repas, de boire un coup ou simplement de passer du bon temps. Mais le lieu s'avéra quelque peu bruyant en raison des multiples conversations qui s'y tenaient. Il manquait de surcroît d'intimité pour une communication téléphonique d'ordre privé. Paul décida donc de se diriger vers les vestiaires où il fut soulagé de constater qu'il n'y avait personne.


Il se posta debout dans un coin de la pièce et cliqua sur la fonction « rappeler » de son téléphone mobile. Après quatre sonneries, la voix de grand-mamie Claire se fit entendre :

« Allô ?

- C'est Paul, grand-mamie...

- Ah, mon poussin, c'est toi ! C'est pas trop tôt, dis donc !

- Ben je suis au travail. Je vais pas pouvoir faire long, tu sais. Tout va bien ? Comment vas-tu ?

- Bien, bien... ne t'inquiète pas. Bon je vais faire vite alors, si tu travailles. Elle est revenue me voir !

- Qui ça ?

- Eh bien la sœur dont je t'ai parlé ! La religieuse. Elle est portugaise. Elle me l'a dit cette fois. Elle s'appelle Lucia. Et elle est morte...

- Pardon ? fit Paul, interloqué.

- Tu as bien entendu. Elle est morte depuis des années. Elle m'apparaît depuis l'au-delà, qu'elle m'a dit. Elle est revenue me voir la nuit dernière. C'est bizarre comme impression. Je suis incapable de te dire si c'était réel ou si j'ai rêvé.

- Ben t'as sûrement rêvé, grand-mamie, rétorqua Paul en regardant sa montre et en guettant l'entrée du vestiaire.

- Peut-être, mon poussin, peut-être... mais rêve ou pas, Lucia m'a redit que tu avais une mission très importante à accomplir. Elle m'a expliqué qu'elle allait m'utiliser pour te guider et t'aider.

- Attends, grand-mamie ! Arrête de...


Elle lui coupa vertement la parole et reprit :

- Paul, ne prends pas ça à la légère ! Elle m'a même précisé que je ne mourrai pas tant que ce que tu dois faire ne sera pas réalisé. Elle m'a confié aussi que toi et moi on est nés pour faire cette chose dont elle me parlera plus tard, qu'elle a dit. C'est Dieu qui l'a voulu comme ça, d'après elle. Lucia affirme qu'en ce qui me concerne, je suis venue au monde à l'instant même où sa vie à elle a basculé pour toujours, quand elle avait dix ans, qu'elle m'a dit...


À ce moment de la discussion, Paul se demanda s'il devait hurler, raccrocher ou essayer de raisonner la plus-que-centenaire. Il crut que le sol allait se dérober sous ses pieds. Des bruits de pas provenant du seuil du local extirpèrent le chef de rang de ses pensées. Il releva la tête, le téléphone toujours collé à l'oreille, et vit s'approcher son manager. À l'autre bout du fil, son arrière-grand-mère s'étonna de son silence :

- Allô ? Paul ? Tu es là ?

- Oui grand-mamie. Il faut que je te laisse. Je te rappellerai.


Et il raccrocha. Son supérieur était maintenant arrivé à sa hauteur et s'aperçut que le jeune homme était blême. « Une mauvaise nouvelle ? » lui demanda-t-il en le voyant ranger son téléphone dans sa poche.

- Non, tout va bien, lâcha Paul en affichant un air détaché.

- Tant mieux, fit l'autre en ajoutant « je croyais que tu venais d'apprendre l'info dont tous les médias parlent en boucle depuis quelques minutes.

- Ah non, j'suis pas au courant, je sors de mon service. C'est quoi l'info ?

- Le nouveau virus ! Encore un cousin de la Covid-19 apparemment. L'Organisation Mondiale de la Santé nous promet encore des millions de morts si les mesures « adéquates » ne sont pas prises d'urgence. J'ai bien peur qu'on soit bientôt obligés de revenir au port du masque et tout le bazar !


Ben merde alors ! J'espère pas ! »conclut Paul en se disant que décidément plus rien ne tournait rond sur cetteplanète.


Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant