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La mère supérieure du carmel de Coimbra, assise le dos bien droit, raide comme la justice derrière la vieille table en bois de chêne sur laquelle elle avait coutume de travailler, toisait d'un œil soupçonneux ce prêtre d'une trentaine d'années qu'elle recevait dans son bureau à la demande de l'évêque. Elle ne comprenait pas la raison de la requête qu'il venait lui présenter :

- Ce que vous sollicitez est extrêmement inhabituel. Si vous voulez vous entretenir avec notre sœur, vous pouvez très bien le faire ici.

- J'obéis aux instructions de monseigneur notre évêque, ma mère. Je pense que l'évêché vous a appelé en amont de ma visite pour vous prévenir et vous expliquer.


La vieille carmélite fronça le sourcil sous son voile et maugréa :

- Ils m'ont téléphoné hier, c'est exact. Mais ils ne m'ont rien expliqué du tout. Alors j'aimerais que vous éclairiez ma lanterne. Pourquoi voulez-vous emmener notre sœur en dehors de ces murs ?

- Ce sont les ordres que j'ai reçus, ma mère. Et on ne m'a pas fourni davantage d'explications à moi non plus. Vous m'en voyez désolé.

- Mais enfin, c'est tout de même étrange, vous ne trouvez pas ? Et où comptez-vous la conduire comme ça ?

- Ma mission est de l'amener jusqu'à l'évêché, ma mère.

- Où il se passera quoi ? questionna la religieuse.

- Je l'ignore.

- Et combien de temps restera-t-elle à l'évêché ?

- Je ne sais pas, ma mère, répondit le jeune ecclésiastique qui se redressa sur sa chaise pour marquer son impatience.

- Eh bien... vous ne savez décidément pas grand-chose !


Un silence pesant régna dans la pièce. La supérieure du couvent se tenait le menton, comme si cela l'aidait à mieux réfléchir. Au bout d'une demi-minute, elle finit par se résigner, de guerre lasse :

- Bon, de toute façon je n'ai pas le choix, n'est-ce pas ?

- Je crains que non, effectivement...


La vénérable nonne se leva péniblement :

- Venez. Allons la chercher. Je l'ai déjà à moitié prévenue après avoir reçu l'appel de l'évêché mais je sais que l'idée de nous quitter, même pour une courte durée, la chagrine énormément.

- Je comprends, ma mère, fit le curé en se mettant debout, mais cela va bien se passer. Vous verrez.


La fidèle servante du Seigneur le regarda, l'air peu convaincue. Puis elle se retourna vers la porte pour sortir dans le couloir. Le trentenaire habillé en clergyman lui emboîta le pas.


Celle qui fut l'amie intime de sœur Lucia priait dans sa cellule. Interrompue par les deux arrivants, elle se vit confirmer par sa supérieure que l'évêque désirait la rencontrer et elle n'eut qu'une quinzaine de minutes pour préparer un modeste bagage avec quelques affaires.


Rassurée par l'aval donné par la plus haute autorité du carmel pour son déplacement à l'extérieur, la religieuse suivit docilement l'émissaire de l'évêque en dépit du sentiment de crainte qui l'assiégeait.


Commandée par une petite voix qui, au fond de son âme, l'incitait à le faire, la mère supérieure accompagna le drôle de tandem jusqu'au seuil de la grande porte du pieux édifice.


Elle était loin d'imaginer que ce prêtre inconnu qu'elle voyait en train de faire monter dans sa voiture cette éminente pensionnaire de sa communauté appartenait depuis quatre ans à une organisation dont le Vatican niait l'existence, dénommée « Sodalitium Pianum » ou encore « La Sapinière » regroupant les services secrets du Saint-Siège. Cet athlétique homme d'église qui lui enlevait sa protégée faisait partie de ses agents les plus actifs, ceux qui exécutaient les missions délicates et périlleuses.


En observant celle que Lucia de Fatima avait dotée du pseudonyme de Marie-Ana (croyant ainsi la mettre à l'abri du danger) prendre place à l'avant du véhicule côté passager, la matriarche des carmélites de Coimbra ne se doutait pas qu'elle ne la reverrait plus jamais.


Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant