En ce milieu de journée, une atmosphère oppressante pesait sur la deuxième agglomération d'Iran. À l'étonnement qui, dès l'aube, avait saisi les deux millions d'habitants d'Ispahan, succédait au fil des heures une angoisse qui continuait de croître.
Un phénomène aussi singulier qu'inexplicable se produisait : le jour ne se levait pas. Ispahan et les alentours étaient enveloppés dans une espèce d'épais brouillard qui semblait s'étendre à toute la région. Ce qui inquiétait le plus la population et les autorités résultait de la nature de cette brume tenace. Il ne s'agissait pas de la cause météorologique habituelle. En réalité, les Hispahanais ne se retrouvaient pas plongés dans un vrai brouillard. Il s'agissait plutôt de fumée. D'ailleurs, on pouvait sentir une odeur de brûlé à des dizaines de kilomètres à la ronde. Mais on ne signala ce jour-là ni incendie ni le moindre feu.
Un mystère total. Le gouvernement iranien, en liaison avec les dirigeants locaux, avait ordonné une enquête et des expertises scientifiques dont on attendait les résultats avec impatience.
Au cœur de l'ancienne capitale de l'empire perse, dans le Soffeh Mountain Park, des enfants tentaient de jouer au football sans voir la plupart du temps où échouait leur ballon après leurs tirs, la nébulosité provoquée par l'étrange poussière noirâtre réduisant la visibilité à deux ou trois mètres à peine. En essayant de marquer un but, l'un des gamins envoya la balle un peu loin. La retrouver dans la végétation du parc qui, au sein de cette purée de pois suffocante, formait de vagues masses sombres, constituait un redoutable défi. Le petit Kamran, neuf ans, gardien de buts de circonstance, se dévoua et courut en direction des buissons. Alors qu'il commençait à fouiller dans l'un d'eux, une nuée d'insectes, qui semblait sortie de nulle part, s'abattit sur lui et envahit tout l'espace alentour : le terrain de foot improvisé, puis l'ensemble du parc Soffeh Mountain. Bientôt ce furent des milliers d'essaims qui investirent la grande métropole iranienne et au-delà. C'était très impressionnant.
Kamran rebroussa chemin pour rejoindre les autres gamins en agitant les bras pour se protéger contre les innombrables bestioles qui l'assaillaient. Soudainement, l'une d'elles le piqua alors qu'il arrivait au niveau de l'endroit où se trouvaient ses camarades de jeu, qui luttaient aussi pour repousser les assauts de cette multitude de bêtes volantes et agressives. Leur comportement était peu commun : elles ne volaient qu'à une altitude assez basse et elles touchaient régulièrement le sol avant de faire des bonds spectaculaires.
À la seconde où il ressentit la piqûre, Kamran s'écroula en hurlant de douleur. Il gardait les deux mains appuyées sur son visage. La blessure affectait sa joue gauche et le faisait horriblement souffrir. Bâbak, quatorze ans, le plus âgé des footballeurs en herbe, ne resta pas insensible aux cris de son ami. Allongé face contre terre pour se tenir à l'abri des dangereux insectes, comme les autres membres de la petite bande, il rampa jusqu'à son infortuné coéquipier. Parvenu à ses côtés, il fut à la fois sidéré et effrayé par l'aspect de la plaie qui défigurait Kamran. Celui-ci ne gémissait plus et commençait à tourner de l'œil. Bâbak prit conscience de la gravité de la situation. Seul du groupe à posséder un téléphone portable, il le retira de sa poche de pantalon et, sans hésiter, appela les secours.
Quand l'ambulance arriva, le petit garçon avait perdu connaissance. Il fut évacué d'urgence vers l'hôpital le plus proche. Puis deux voitures de police firent leur apparition. Les agents y embarquèrent les copains de la jeune victime pour les exfiltrer de cet enfer. Par chance, aucun d'eux ne fut piqué par un de ces venimeux insectes. Leur choix de se plaquer au sol et de ne pas bouger se révéla sans doute salvateur. Les soignants venus secourir Kamran et les policiers durent multiplier les précautions pour éviter d'être attaqués à leur tour.
Quelques heures plus tard, en début de soirée, la province d'Ispahan était toujours enveloppée par cette désagréable et énigmatique fumée. Au fil du temps, celle-ci gagnait du terrain : elle envahissait maintenant la banlieue de Téhéran, la capitale du pays, à plus de trois-cents kilomètres de là. Quant aux sinistres bêtes piqueuses, elles commençaient à coloniser l'Iran, par centaines de millions, à une vitesse vertigineuse.
À l'hôpital universitaire Al-Zahra d'Ispahan, le petit Kamran se trouvait entre la vie et la mort, plongé dans le coma. L'équipe médicale qui déployait tous les efforts possibles pour le sauver attendait impatiemment le résultat des analyses menées depuis l'après-midi par les spécialistes chargés d'identifier l'obscur animal porteur du venin.
Lorsque les conclusions de ces scientifiques parvinrent aux médecins sous la forme d'un rapport officiel, une intense sidération s'empara d'eux : la sinistre bestiole était bien un insecte. Ses ailes et ses six pattes extrêmement musclées expliquaient les sauts impressionnants qu'on observait. Elle appartenait à la famille des orthoptères et les biologistes étaient catégoriques : il s'agissait de sauterelles, d'une espèce inconnue jusqu'ici. Car normalement, les sauterelles ne piquent pas. Or, celles qui pullulaient à travers toute la province d'Ispahan et qui investissaient progressivement les autres contrées d'Iran étaient dotées d'un redoutable dard à l'extrémité de leur abdomen avec lequel elles pouvaient injecter un poison mortel, exactement comme les scorpions.
Cette surprenante information signifiait quelque chose de terrible : Kamran ne survivrait pas. Les praticiens hospitaliers à son chevet le comprirent et éprouvèrent une profonde tristesse à l'idée qu'un enfant de neuf ans puisse mourir dans de telles conditions.
Quand vint la nuit, les Iraniens s'en aperçurent à peine, toujours plongés dans cette fumée sans feu mais qui en avait pourtant l'odeur et s'épaississait en rendant l'air difficilement respirable.
Ces événements furent relatés dans les journauxtélévisés du pays ainsi qu'à l'étranger. Les éditions spéciales se succédaientet les spéculations allaient bon train. À l'issue de cette première journéed'enfer sur terre, les reportages montraient les innombrables accidents de lacirculation causés par le manque de visibilité. Les journalistes revenaientaussi sur ces habitants attaqués par de mystérieuses sauterelles piqueuses, dontcertains étaient décédés. Les images diffusées exposaient les scènes d'un chaosindescriptible un peu partout dans l'ancienne Perse.
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Le quatrième secret de soeur Lucia
Mystery / ThrillerUne histoire passionnante de 62 chapitres à retrouver ici à partir du samedi 13 janvier prochain puis chaque samedi à 13 heures. Paul, 25 ans, chef de rang dans un prestigieux palace parisien, menait une vie tranquille avec son compagnon, Chadi, un...