35.

12 5 2
                                    

Suspendu la tête en bas, les pieds attachés à un gros crochet arrimé au plafond, les poignets liés dans le dos et seulement vêtu de son slip, Chadi crut qu'il allait s'évanouir avec cette nouvelle gifle d'une puissance inouïe qui fit gicler du sang de ses narines.


Il n'avait plus la force de mouvoir sa nuque pour regarder son tortionnaire qu'il supposait être un Marocain car il s'exprimait en arabe avec l'accent du pays. En revanche, ses deux complices qui se tenaient également debout, un peu en retrait, parlaient entre eux en anglais avec les intonations que le jeune cuisinier entendait dans le restaurant où il travaillait à Paris quand il lui arrivait de traverser la salle et de croiser des clients américains.


La température battait des records dans cette grande bâtisse sale et privée de lumière que Chadi imaginait être une grange. Son corps ruisselait de sueur. Son interrogatoire durait depuis plusieurs heures et le malabar qui exigeait de lui des informations qu'il ne détenait pas n'y allait pas de main morte. Il ne retenait pas ses coups et le frappait comme une brute, couvrant son torse et son visage d'ecchymoses impressionnantes.


L'Arabo-Portugais regrettait amèrement d'avoir ouvert la porte de l'appartement de son copain Yassine à des inconnus mais il se disait aussi qu'ils seraient de toute façon parvenus à leurs fins, d'autant que ceux-là lui donnaient l'impression d'être des professionnels. Ils avaient tout retourné chez Yassine, jusque dans le moindre recoin. Lorsqu'ils trouvèrent la statuette de Sainte-Marie, ils crièrent victoire. Mais en découvrant la seconde d'après qu'elle était vide, ils explosèrent de colère et emmenèrent Chadi sans ménagement. Seul contre trois, il ne put résister bien longtemps et fut jeté dans un fourgon dans lequel on lui mit un sac opaque sur la tête.


- Alors, tu vas nous dire ce que t'as fait de cette putain de lettre ou tu préfères que je t'en mette une autre, espèce de chien ? hurla en arabe le Maghrébin tout en graisse et en muscles qui posait cette question pour la énième fois à l'infortuné prisonnier.


Chadi ne réagit pas. Il récupérait difficilement de la magistrale claque qu'il venait de se prendre en pleine face. La dernière d'une longue série. Car le jeune homme ne pliait pas et maintenait une version constante depuis le début de sa détention : il répétait sans cesse qu'il ne savait pas où se trouvait le courrier écrit par la sœur Lucia quelques années avant sa mort, ce qui correspondait à la stricte vérité. Mais ses geôliers refusaient de le croire et son supplice continuait.


Le bourreau perdait patience. Il se retourna vers les deux autres et maugréa dans un mauvais anglais :

- Je crois qu'il faut passer à la vitesse supérieure.


Sans attendre de réponse, il s'approcha d'une vieille chaise en bois disposée à environ un mètre de lui et de son souffre-douleur et s'empara d'une tenaille qui traînait dessus parmi d'autres outils. Il la brandit très près de la figure ensanglantée de Chadi qui oscillait telle un balancier, menton par-dessus crâne, surplombant le sol terreux. Il le menaça en agitant l'instrument devant son nez :

- Je vais compter jusqu'à trois. Si tu ne parles pas, je commencerai par t'arracher l'ongle du pouce de ta main droite. En prenant bien mon temps, pour que tu en profites. Et si tu causes toujours pas, je te ferai pareil aux autres doigts, l'un après l'autre. Après j'attaquerai ta deuxième main si tu persistes à faire ta tête de mule. Mais j'aurai pas besoin d'aller jusque-là, rassure-toi. Parce que tu parleras avant, c'est obligé. J'ai jamais vu personne supporter une douleur aussi forte. Même les plus coriaces ils sont passés à table avec ça !


Le nervi fit mouvement pour contourner sa proie dont les bras pendaient entravés derrière le dos mais il fut stoppé net par l'un des deux occidentaux qui ordonna sèchement en anglais :

- Attends, Ahmed ! On va le laisser reprendre un peu ses esprits. S'il perd connaissance on n'apprendra rien. Remets cet outil à sa place et viens par ici. Tu continueras à le cuisiner plus tard.


Ahmed fit demi-tour à contre-cœur et jeta son instrument de torture sur la chaise.


Les trois barbouzes quittèrent les lieux avec l'intention de prendre l'air quelques minutes, persuadés que leur otage n'avait pas la moindre possibilité de leur fausser compagnie ainsi accroché la tête en bas comme un cochon à un croc de boucher.


Ignoraient-ils que Chadi comprenait parfaitement l'anglais ? Peut-être. En tout cas, ses oreilles ne perdirent pas une miette des rares propos échangés entre ses ravisseurs. Elles captaient aussi, depuis son arrivée forcée dans cet endroit obscur, les bruits qui parvenaient de l'extérieur, comme ces cris de divers animaux de la campagne marocaine ou encore le ronronnement du moteur d'un engin agricole. Le jeune Marocain, doté dès la naissance d'une ouïe très fine, en conclut qu'on le retenait dans une ferme, à environ une heure de voiture de Mohammédia, car telle était son évaluation de la durée du déplacement subi dans le fourgon à la suite de son enlèvement au domicile de Yassine.


Dès qu'il se retrouva seul, Chadi observa avec horreur la tenaille qui semblait le narguer et lui dire : « tu ne perds rien pour attendre ; je vais bientôt m'occuper de toi ». Il la scruta intensément et il lui vint une idée. Mais pour la mettre à exécution, il lui fallait d'abord reprendre des forces. Alors il décida d'essayer de dormir, même si cela s'avérait compliqué en étant ainsi pendu par les chevilles à la charpente.


Dehors, le crépuscule avait eu raison des dernièreslueurs rosâtres et orangées du soleil. Tandis que les premières étoiless'allumaient doucement dans la voûte céleste au-dessus de l'exploitationfermière servant de couverture aux agents clandestins de la CIA sur leterritoire du royaume chérifien, l'air se rafraîchit enfin, ce qui aida Chadi às'assoupir.


Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant