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Il n'était pas encore tout à fait dix-sept heures mais le ciel s'assombrissait tellement au-dessus de Lille qu'on se serait cru à la tombée du jour. « Quel drôle d'été » songea Paul qui suait sous son tee-shirt en accélérant le pas vers l'église Saint-Maurice. Cette église qu'il avait si bien connue étant enfant. Jamais il n'aurait imaginé y remettre les pieds. Le curieux rendez-vous fixé dans l'édifice religieux par Louis l'avant-veille au téléphone, en langage codé, en décidait autrement. Le serveur du George V leva la tête vers les énormes nuages noirs en formation et pénétra dans le pieux monument par sa grande porte centrale. L'atmosphère s'apparentait à un climat tropical. Un orage menaçait.


Une fois à l'intérieur, Paul fut submergé par une foule de souvenirs. Dans cette vaste bâtisse belle comme une cathédrale, même si elle n'en était pas une, il fit ce qu'on appelait alors sa « communion solennelle » en compagnie de Louis et de leurs camarades du collège inscrits comme eux par leurs parents aux séances de catéchisme.


Le jeune homme se faufila entre les colonnes de la magnifique « hallekerk » (mot flamand signifiant « église-halle ») dont la sobre architecture de style gothique flamboyant pouvait se retrouver aussi chez ses « cousines » aux Pays-Bas, en Rhénanie et bien sûr dans les Flandres. Construite sur une période de plus de quatre-cents ans entre les quatorzième et dix-neuvième siècles, l'église Saint-Maurice comptait cinq nefs de même largeur et de même hauteur. Elle attirait quotidiennement des touristes, peu nombreux ce jour-là. Paul n'en croisa que deux avant de repérer ce qu'il cherchait : il le voyait exactement à la place qui était restée la sienne dans sa mémoire, à une quinzaine de mètres devant lui contre le mur, ce fameux confessionnal. Cet étrange abri en bois finement sculpté, cet endroit d'un autre âge dans lequel les prêtres recevaient naguère les confessions des pénitents. Cet équipement déjà désuet à l'époque où Paul fréquentait ces lieux chaque dimanche pour la messe après sa semaine au collège. Pour lui et ses copains il s'agissait là d'une lugubre cabane sans grande signification. Il s'en approcha lentement et les images défilèrent dans son esprit : oui, c'était dans ce confessionnal-ci que leur espiègle camarade surnommé le « gros Juju » avait jugé comique de jeter une boule puante pendant un office religieux. Histoire de faire rire la galerie. Une initiative qui ne fut pas du goût de tout le monde et qui valut à l'intéressé une sévère punition. Un épisode tellement mémorable que Paul comprit immédiatement que Louis y faisait allusion lorsqu'il lui proposa ce rendez-vous énigmatique au téléphone. Et il pouvait reconnaître ce confessionnal entre mille. L'église Saint-Maurice en abritait plusieurs, mais Paul n'avait aucun doute : c'était dans celui-ci – et pas dans un autre – que son ami séminariste voulait le rencontrer en secret.


Arrivé devant la porte fermée derrière laquelle les curés d'antan écoutaient leurs ouailles avouer des péchés divers et variés, le jeune Parisien jeta un regard circulaire pour s'assurer que nul ne l'observait. Puis il se pencha en avant et examina l'intérieur grâce aux larges trous formés par la sculpture dans l'antique menuiserie. Il sursauta en découvrant une scène irréelle : Louis l'attendait dans la pénombre, prostré sur une espèce de banquette moisie par le temps. À côté de lui, sur une étroite tablette, un épais livre que Paul devinait être la Bible lui tenait compagnie. L'étudiant en théologie était vêtu comme n'importe quel laïc de son âge. Sa chemise – froissée – pendait par-dessus un jean délavé. Une barbe de plusieurs jours achevait de lui donner une allure négligée, ce qui ne lui ressemblait pas. Il se rongeait les ongles. Il mit quelques secondes à s'apercevoir de la présence de son ancien pote de collège. Il lui fit signe de rentrer dans une partie du confessionnal réservée aux fidèles, sur sa gauche. Paul s'exécuta et n'eut pas d'autre choix que de se mettre à genoux devant la petite grille de bois qui le séparait de son ami. Apparemment rien ne permettait aux personnes censées se confesser de s'asseoir. Seul un vieux coussin poussiéreux posé à même le sol contraignit le chef de rang du George V à s'agenouiller. « Tout cela est surréaliste » se dit-il en fixant les prunelles de Louis dans le clair-obscur de leur très catholique cachette. Le futur prélat engagea la conversation à voix basse :

Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant