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Écrasée par une chaleur torride sous un ciel bas, la butte Montmartre à Paris accueillait un flot ininterrompu de touristes entre deux orages. Rentré du Portugal, Paul était censé profiter de la suite de ses congés d'été annuels, mais l'appartement de la rue Berthe lui paraissait bien vide sans Chadi. Ce matin-là, le chef de rang en vacances tentait de tromper l'ennui et d'oublier sa solitude en se mêlant à cette foule venue du monde entier sur la place du Tertre pour y regarder les artistes-peintres exécuter leurs œuvres sous les yeux des badauds.


Un coup de fil de sa sœur reçu la veille depuis les États-Unis accentuait la mélancolie du jeune homme. Nina l'avait informé que David était passé à deux doigts de la mort. Paul ignorait que son beau-frère se trouvait à Los Angeles au moment où le terrible tremblement de terre raya de la carte une bonne partie de la Californie.


Il poursuivit sa déambulation en longeant les épais murs de la basilique du Sacré-Cœur jusqu'à l'entrée principale du majestueux monument blanc. Il descendit ensuite les marches et gagna la grande pelouse pentue sur laquelle de petits groupes de visiteurs devisaient, se prenaient en photo ou grignotaient pour faire patienter leur estomac en attendant le déjeuner. Paul repéra un endroit clairsemé et s'assit sur l'herbe. Une irrésistible envie d'essayer à nouveau de joindre Chadi le saisit et il sortit son i-phone de son bermuda. Il lança l'appel. Après quelques sonneries, sa gorge se noua lorsqu'il entendit la voix de son compagnon :

- Paul ? C'est toi ?

- Oui c'est moi mon cœur. Comment vas-tu ? Où es-tu ?

- Tout va bien mon chéri. Je suis au Maroc. Quel bonheur de te parler enfin ! Et toi, t'es à Paris ?

- Oui. Mais faisons attention. N'en disons pas trop par téléphone. Surtout, ne dis rien sur le motif de notre voyage au Portugal. On est certainement sur écoute. Ne me dis pas le lieu exact où tu te trouves au Maroc. Ça vaut mieux. Tu sais, après notre départ précipité de Coimbra, j'ai été enlevé et séquestré par des agents secrets français qui m'ont posé plein de questions. Je t'en dirai pas plus. Mais sois prudent mon amour. Ils te cherchent aussi. On a les services secrets de plusieurs pays à nos trousses, paraît-il.

- Putain, quel truc de ouf ! Ils t'ont fait prisonnier ! Je comprends maintenant pourquoi j'arrivais pas à te joindre pendant ma fuite vers le Maroc...

- Écoute, mon loulou. Il faut que tu rentres fissa fissa à Paris maintenant. J'ai besoin que tu sois là. J'ai pas le moral. Hier, ma sœur m'a téléphoné pour me dire que David, mon beau-frère, avait failli laisser sa peau au milieu des ruines de Los Angeles.

- Ah bon ? Il était là-bas au moment du tremblement de terre ?

- Eh oui. C'est un miracle qu'il s'en soit sorti vivant.

- Je connais un imam ici qui affirme que cette catastrophe annonce la fin du monde. Je t'en dirai pas plus maintenant sur cet imam puisque tu penses qu'on est écoutés. Mais je peux t'assurer que c'est quelqu'un de très sérieux.

- Qu'est-ce qui lui fait croire ça ?

- Pour nous les musulmans, la fin des temps est précédée par dix signes. Parmi ces signes, il y a trois effondrements de la terre qui doivent se produire. Le premier à l'est, le deuxième à l'ouest et le troisième dans la péninsule arabique. Le monstrueux séisme qui vient de balayer la Californie, qui se trouve à l'ouest du planisphère, constitue selon cet imam le deuxième de ces trois effondrements.

- Mais tu as dit qu'il devait d'abord y en avoir un premier à l'est ! On l'a pas vu celui-là. Donc ça tient pas debout ! objecta Paul.

- Tu te trompes ! rétorqua le Marocain. Le premier a déjà eu lieu il y a des années, en mars 2011, au Japon à environ trois-cents kilomètres au nord-est de Tokyo. C'était donc bien à l'est. Ce fut le plus violent séisme de toute l'histoire du Japon. Il a entraîné un gigantesque tsunami qui a provoqué un accident nucléaire majeur en endommageant une centrale. Un drame qui a fait de nombreux morts et dont les Japonais ne se sont jamais tout à fait remis, d'après ce que j'ai pu lire sur Internet.

Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant