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Au pied de la tour formée par la juxtaposition de quatre blocs de béton, d'acier et de verre abritant le Tribunal de Paris, à deux pas du boulevard périphérique, Paul guettait la sortie principale dans l'espoir de voir enfin apparaître la silhouette de son avocat de père qui lui avait demandé de le rejoindre là pour l'emmener déjeuner au restaurant après une audience importante.


Le jeune homme se disait que les plaidoiries traînaient probablement en longueur, comme d'habitude. Il attendait patiemment sous un soleil de plomb. De toute façon, il était toujours en congés et disposait de tout son temps. Et puis son moral culminait au beau fixe depuis que Chadi lui avait téléphoné en début de matinée. Il savait maintenant qu'il allait bien. Un soulagement conforté par le résultat de son appel passé à Lahcen, serveur au Latitude 33 (établissement gastronomique de l'hôtel Four Seasons de Casablanca), celui-ci ayant promis avec empressement d'aller chercher Chadi à Rabat dans la nuit avec la voiture de ses parents.


Paul dut poireauter encore de longues minutes avant d'apercevoir Joseph dans le défilé continu des personnes qui sortaient du palais de justice. Son allure impeccable dans ce costume foncé rehaussé d'une cravate malgré la chaleur déclencha un sourire espiègle sur le visage du fils. « Il en jette quand même, le daron ! » pensa le chef de rang du George V en observant la dégaine paternelle, mi-amusé, mi-admiratif. L'homme de loi balaya le parvis du regard. Il repéra vite son garçon et accéléra le pas vers lui, sa robe noire sous un bras, son attaché-case au bout de l'autre.


Les deux hommes se firent la bise, bravant ainsi les risques liés aux derniers virus que tout le monde craignait, puis Joseph invita Paul à le suivre :

- Allez viens fiston ! J'ai réservé dans une cantine sympa, tu verras. Bon, c'est pas aussi chic que là où tu bosses, mais la cuisine n'y est pas mauvaise du tout et c'est bien pratique parce que c'est à seulement quinze minutes à pied d'ici.

- Top ! Alors allons-y, p'pa !


Un gros quart d'heure plus tard, l'avocat et son gamin de vingt-cinq ans, attablés face à face au fond d'une brasserie parisienne dont la climatisation leur faisait beaucoup de bien, épluchaient la carte afin d'arrêter leur choix. La conversation ne tarda pas à démarrer, avant même qu'on vienne prendre leur commande. Ils avaient beaucoup de choses à se dire.


Paul narra à son père le voyage en compagnie de Chadi à Coimbra et leur entrevue avec la religieuse répondant au pseudonyme de Marie-Ana dans sa cellule du carmel. Il évoqua la statuette de la Vierge, la lettre manuscrite en portugais qu'elle contenait et raconta que son compagnon et lui durent s'enfuir de leur hôtel avant d'avoir pu la déchiffrer. Puis il détailla l'épisode de sa capture et de sa détention par les agents de la DGSE.


Joseph ne perdait pas une miette de ce récit peu banal et levait de temps en temps un sourcil ou écarquillait ses prunelles tout en mastiquant une entrecôte à la sauce béarnaise. Attentif et silencieux depuis le début, il rompit son mutisme lorsque Paul aborda ses échanges avec le cardinal Francesco Rossi en présence de Louis :

- Tu me dis que tu as rencontré un cardinal qui appartient à la curie du Vatican ?

- Affirmatif, m'sieur ! confirma le fils, goguenard, en engloutissant une copieuse bouchée de frites.

- Waow ! Mais tu sais que c'est pas rien, ça ?

- Il paraît... mais le type je peux te dire qu'il a pas l'air net. Je l'ai dit à Louis et il s'est fâché.

Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant