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Il était pile dix heures du matin quand Paul se présenta devant le portail de l'immeuble cossu abritant le siège de la nonciature apostolique, à l'angle de l'avenue du président Wilson et de la rue Freycinet dans le seizième arrondissement de Paris.


Comme prévu, Louis, son ami séminariste, déjà dans les lieux, guettait son arrivée et vint lui ouvrir la grille. Il l'avait appelé la veille alors qu'il revenait de Lille pour l'informer que le cardinal Francesco Rossi se trouvait être de passage en France et qu'il désirait vivement le rencontrer. Même si l'objet affiché de l'entretien visait à permettre au haut dignitaire de l'Église catholique d'aider les deux garçons à comprendre ce que signifiaient les confidences faites par la sœur Lucia dos Santos à l'arrière-grand-mère de Paul – qui les avait rapportées à Louis – le chef de rang du George V abordait cette entrevue avec appréhension. Un mauvais pressentiment l'habitait.


Les deux copains d'enfance évitèrent de se faire la bise pour respecter les restrictions sanitaires liées à l'épidémie de coronavirus. Le futur prêtre, vêtu de noir à la façon austère d'un clergyman, accompagna son invité jusqu'à l'intérieur du bâtiment dont la porte d'entrée était dominée par un drapeau aux couleurs jaune et blanc du Vatican. Une lueur dans ses yeux trahissait son plaisir de revoir son ancien camarade de collège auquel il expliqua, tout en le guidant à travers les couloirs de la nonciature :

- Tu es ici dans la résidence officielle du nonce apostolique. C'est en quelque sorte l'ambassadeur du Saint-Siège dans notre pays, le représentant du pape en France.

- C'est ce que j'avais cru comprendre, répondit Paul. Et tu viens souvent toi ici ?

- Non pas souvent. Seulement quand Francesco vient à Paris. C'est un très bon ami de mon grand-père. Je te l'avais dit je crois ? Il est membre de la curie romaine et occupe donc une position très élevée dans la hiérarchie de l'Église. C'est tout naturellement qu'il réside ici lors de ses séjours parisiens. Et quand il est là, il me propose à chaque fois de venir le voir. On discute, il me donne des conseils. C'est un grand théologien. Il m'apprend beaucoup.

- Il connaît le pape ? demanda Paul, impressionné.

- Évidemment ! fit Louis sur le ton de ceux qui pardonnent une question superflue. Francesco est l'un de ses principaux collaborateurs à la tête de l'Église.

- Et comment je dois l'appeler ? Toi tu le connais depuis que t'es gosse mais moi je vais pas lui dire « Francesco ».

- Normalement un cardinal on doit l'appeler « Éminence ». Mais tu fais comme tu veux. Je ne pense pas qu'il se formaliserait pour ce genre de détail.

- Merci quand même pour l'info. Et... il est Italien je crois, non ?

- Si, c'est bien ça. Comme l'était mon grand-père avant d'émigrer pour la France. Mais t'inquiète pas, il parle très bien le français !

- Oh je m'inquiète pas ! rétorqua Paul. Mais ça va quand même faciliter les choses.

- C'est pas faux concéda l'apprenti curé en faisant entrer son visiteur dans un salon à la décoration un peu vieillotte, dont l'un des murs arborait le portrait du souverain pontife. Assieds-toi, je vais dire à Francesco que t'es arrivé.


Louis ressortit de la pièce. Paul s'installa sur l'une des chaises recouvertes d'un soyeux tissu aux motifs ternes qui entouraient une table ronde en acajou. Il balada son regard autour de lui et jugea que l'endroit ne recélait rien d'ostentatoire. Son attente ne dura qu'une poignée de minutes. Lorsqu'il vit entrer le cardinal en compagnie de son pote qui marchait deux pas derrière, le serveur du palace le plus célèbre de Paris se leva. Le prélat, tête nue arrondie par ses lunettes cerclées, portait l'habit traditionnel noir aux bords rouges jalonné de haut en bas de boutons écarlates, une large ceinture pourpre nouée à la taille. « Dommage que son gros ventre enlève toute élégance à un si bel accoutrement » pensa Paul. Le prince de l'Église s'approcha, mais pas trop :

Le quatrième secret de soeur LuciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant