Chapitre 2

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Quand Gabriel entre dans le hall de l'étage présidentiel de l'Élysée ce matin-là, Alexis est en train de lire derrière son bureau, un imposant bureau en chêne derrière lequel l'on paraît si petit. Gabriel s'avance, encore impressionnés — étouffé presque — par ce qui l'entoure malgré les semaines qu'il a déjà passé dans le bâtiment. Des tapisseries aux couleurs chaudes couvrent les murs, absorbant chaque son. Rien ne résonne jamais ici, intensifiant le silence qui y est constant et qui s'est fait maître des lieux. Partout, des piliers de marbres, massifs, froids ; et de larges miroirs dans lesquels chacun a pris l'habitude d'y éviter son propre regard.
   — Oui ?
Alexis tourne une page de son bouquin, sans prendre la peine de relever la tête.
   — J'ai convenu d'une entrevue avec Emmanuel, explique Gabriel, se raclant la gorge.
   — Pour ?
   Alexis n'a jamais pris Gabriel au sérieux. Il ne l'a jamais dit explicitement, mais Gabriel l'a très vite compris. À ce faux ton qu'il emploie tout le temps et à cette manière arrogante de ne jamais le regarder dans les yeux lorsqu'ils s'adressent la parole. Il n'a jamais su pourquoi. Les rapports restent cependant cordiaux, mais jamais amicaux.
   — J'ai une proposition à lui faire.
   Alexis daigne enfin jeter un coup d'œil à son interlocuteur, suspicieux, révélant ses deux yeux bleus dépourvus d'une seule once d'empathie.
   — Quelle proposition Gabriel ?
Faut-il toujours qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas ? Cette manière de chercher la petite bête, de vouloir être au courant de tout comme s'il était le Président lui-même irrite Gabriel.
   — Écoute, ajoute Alexis d'un ton presque autoritaire, chacune des secondes de son emploi du temps comptent, alors si c'est encore une de tes visites à la con, tu peux...
   Cette fois-ci, c'en est trop. La journée de Gabriel avait déjà mal commencé. À peine arrivé, le conseiller en image — encore un que l'on ne voit jamais si bien que personne n'a retenu son nom — l'avait attrapé pour lui faire une déplaisante leçon de morale sur sa manière trop belliqueuse de communiquer sur ses réseaux, qui avait franchement échauffé Gabriel. Tu es trop... agressif, lui avait-il dit, pesant ses mots. Culotté pour quelqu'un qui pointe son nez deux fois dans le mois. Plus tard, traversant les couloirs, Gabriel avait entendu des chuchotements à son sujet lui glisser dans l'oreille, des critiques qu'ils ne devaient pas entendre et qui lui avait serré le cœur. Malgré ses compétences, il avait du mal à établir son autorité. Difficile pour des ministres de cinquante balais d'accepter de se faire diriger par un petit jeune de trente ans. On le regardait de travers, lui répondait des bonjour hypocrites. Le quotidien, en somme, de toutes ses journées depuis qu'il était Premier ministre. Rares étaient les marques de reconnaissance. Quand on l'interpellait, c'était pour le reprendre. Tu aurais dû, ou tu n'aurais pas dû. Alors quand Alexis a commencé à lui mettre à son tour des bâtons dans les roues, Gabriel a laissé son égo prendre le dessus.
   — Je suis le Premier ministre de ce pays et accessoirement la seconde personne la plus importante ici...
   Gabriel parle bas, conscient du caractère excessivement hautain de ses propos. Ce n'est pas dans son habitude cet abus d'arrogance. Ça ne lui appartient pas, mais cette fois-ci, c'est au-dessus de ce qu'il peut contrôler. Il y a des jours où ça implose en vous.
   —... donc si j'ai besoin de voir le Président, je n'ai pas à me justifier, surtout auprès d'un secrétaire.
   Alexis éclate d'un rire gras face au jeu de petit chef presque ridicule de Gabriel, puis se relève brusquement. Son visage change instantanément. Il fait une tête de plus que Gabriel, qui tente tant bien que mal de soutenir son regard, tressaillant sous le poids de celui-ci.
   — Écoute-moi bien, jeune homme.
   Sa voix se fait à présent menaçante. Il plonge son regard dans celui de Gabriel, qui sent une goutte de sueur lui couler le long du dos.
   — Ça fait quinze ans que je travaille pour Emmanuel. Où il en est aujourd'hui, c'est aussi grâce à moi, donc tu comprends bien que je ne vais pas laisser un petit pédé comme toi venir faire le grand.
   Gabriel sent son cœur se figer. Les derniers mots lui arrivent en pleine face. Pédé. Il résonne dans son esprit. L'a-t-il bien entendu ? Oui, c'est le mot qu'Alexis a employé. Pédé. Ce dernier le fixe toujours d'un regard sombre, un regard qui transpire le dégoût, et dont Gabriel en ressent toute la répugnance ressenti à son égard ; un regard rapidement interrompu par la porte du bureau derrière eux qui s'ouvre vivement.
   — Gabriel ! Comment vas-tu, mon grand ?
   Emmanuel, solaire, lui ouvre ses bras, l'invitant à entrer. Gabriel n'ose pas avancer, ni prononcer un mot, encore pris du choc qu'il vient de subir. Alexis se détourne de lui.
   — Nous discutions justement de sa dernière conférence, raconte t-il, brillante n'est-ce pas ?
   Puis il dirige à Gabriel un sourire hypocrite, débordant de sous-étendus. Tu l'ouvres, t'es mort. Le message passe clairement. Gabriel a le cœur serré. Sur les réseaux, il a l'habitude. Ici, sur son lieu de travail, dans son entourage proche, c'est différent. C'est plus réel.
   — Tout à fait, confirme Emmanuel, ne se rendant compte de rien, tu entres ?

La raison du plus fort (Bardella x Attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant