Chapitre 34

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Ce n'est pas son plafond. Le sien est tâché, légèrement jaunit par le temps.
   Tâché par les traces de patafix laissés par les étoiles en plastique phosphorescentes qu'il avait finalement fini par retirer parce que t'as huit ans ou quoi ?! lui avait fait remarquer Hugo lors de sa première visite. C'était la seule chose qui lui rappelait un tant soit peu son enfance, sa chambre d'enfant.
   Aussi, la peinture de son plafond est fissurée à certains endroits. Les lignes formaient des constellations avec les étoiles jaunes. Gabriel avait passé sa soirée à créer ce si beau tableau, ne voyant pas s'écouler les heures. À cette période de sa vie, il ne buvait pas encore, ou très peu. Il trouvait facilement de quoi s'occuper.
En y repensant, Hugo avait sûrement raison, ces étoiles en plastique jaune pâle trouvées à quelques euros dans le rayon jouet de Leclerc, ça faisait con.
   Le plafond devant ses yeux est blanc. D'un blanc pur. Juste pur. Blanc, net, brut, propre. Ce plafond n'est pas celui devant lequel il a l'habitude de se réveiller chaque matin. Ce n'est pas son plafond marqué encore des anciennes constellations que Gabriel avait inventé de toute pièce.
Gabriel engage un mouvement pour se redresser, est aussitôt interrompu par le tiraillement douloureux de sa peau au niveau de son estomac. Le souvenir de ce qu'il a vécu cette nuit remonte brutalement à la surface de son esprit. La douleur ; la sirène, stridente ; le visage de Jordan, penché au dessus de lui, hurlant des mots que Gabriel n'arrivait pas à entendre.
Il balaye la pièce du regard. Un sentiment déchirant de solitude l'envahit à la vue de cette chambre, vide, plongée dans le silence, qu'il voit pour la première fois.
Sa bouche est sèche, sa gorge est piquante. Il y ressent un goût désagréable et amer. Il aimerait boire quelque chose. Réhydrater ce désert aride. De l'eau. Pour la première fois depuis plusieurs jours, il a le désir irrésistible de boire de l'eau. Beaucoup d'eau.
Il a déjà repéré la bouteille de cristalline posée à quelques mètres de lui sur un plateau. S'il se penche, il va avoir mal. Il pourrait tout simplement appeler l'infirmière avec l'espèce de télécommande posée soigneusement à côté de lui, mais n'en à vraiment pas envie. Gabriel n'a pas envie de sociabiliser avec un ou une inconnue, à peine réveillé, à... quelle heure est-il d'ailleurs ? Il en a aucune idée. Le rideau tirée devant la fenêtre le prive de tout indice sur la position du soleil dans le ciel.
Gabriel n'a pas d'autre choix que de se pencher, subir la douleur de cette nouvelle cicatrice qu'il n'avait pas sur le corps la dernière fois qu'il était conscient.
Heureuse coïncidence, la porte de la chambre s'ouvre au même moment.
— Gabriel !
Jordan se précipite sur lui, pose son gobelet de café fumant sur la petite table de chevet à côté du lit.
— Attends, ne bouge pas.
Il pose une main timide et chaude dans le dos de Gabriel, l'aide à se remettre en position assise.
— Tu as mal ? demande t-il, une vraie inquiétude dans la voix.
— Un peu.
Gabriel grimace. Il a terriblement mal, en vérité. L'impression que la peau de son ventre pourrait se déchirer à tout moment et au moindre mouvement un peu trop brusque de sa part.
   — J'ai soif, dit-il, le souffle court.
— Attends.
Jordan lui attrape la petite bouteille d'eau que Gabriel accueille comme un trophée, comme un butin précieux.
Il vide littéralement la bouteille, à grosses gorgées, ne laissant plus aucune goutte ; réalise qu'il en avait même perdu le goût de l'eau. Le tout sous le regard hésitant de Jordan, qui n'a aucune idée de comment l'aider, ni de ce qu'il pourrait lui dire. Enfin, si, il sait, mais pas maintenant, pas alors qu'il vient à peine de se réveiller de sa léthargie profonde.
   — Quelle heure est-il ? requière Gabriel d'une voix faible qui trahit une confusion toujours présente.
   — Cinq heure et demi, le soleil est en train de se lever.
   — Pourquoi tu n'es pas rentré ?
La question est factuelle, posée sans aucune ambiguïté, mais au ton presque indifférent employé par Gabriel, elle suffit à froisser Jordan, qui, aux longues heures qu'il vient de passer à angoisser, à attendre dans la peur, et à ne pas dormir, à se fatiguer le corps et l'esprit, est plus facilement soumis à ses émotions primaires.
— Je voulais être sûr que... ça irait, répond t-il simplement, étouffant sa susceptibilité nouvelle.
Gabriel hausse un sourcil.
— Est-ce que tu m'as regardé... dormir ?
Il ne s'en rend pas forcément compte, mais le ton qu'il emploie est désormais hautain, distant, presque teinté d'un certain mépris que Jordan ressent davantage avec le manque de sommeil.
— J'étais censé faire quoi ?
Ce dernier a haussé la voix malgré lui, piqué dans son égo ; embarrassé aussi, trahit par la couleur rose de ses joues. Il se reprends aussitôt. Il sait qu'il n'est pas dans son état normal.
— Je ne voulais pas te laisser seul ici, c'est tout.

La raison du plus fort (Bardella x Attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant