Chapitre 37

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— J'aime bien ta maman.
   Gabriel laisse un sourire naître sur son visage, ne détachant le regard du plafond blanc, ou plutôt du vide qui les sépare de celui-ci, et que tous les deux observent comme ils observeraient un ciel étoilé, allongés sur l'herbe froide et humide d'une nuit d'été. Il n'y a rien à voir pourtant, seulement peut-être les formes imaginaires que prennent leurs pensées sous leurs yeux.
   — Je crois qu'elle t'aime bien aussi.
— Plus que Stéphane ?
Jordan se prend un coup de coude dans les côtes, éclate de rire, d'un rire qui résonne et fais le tour de la petite chambre à présent vide et plongée dans l'obscurité du soir.
— Elle n'a jamais appelé Stéphane mon chou, si ça peut te rassurer, révèle Gabriel.
— Tu veux dire que je suis son gendre préféré ?
Gabriel retient le sourire qui menace à nouveau d'élargir ses lèvres, amusé plus qu'il ne le voudrait par cet excès de confiance.
— Je veux dire que tu es sur la bonne voie.
— L'idée est assez plaisante.

Imaginez vous être allongé à deux sur le matelas d'un lit une place. Vos épaules se ne frôlent pas, elles s'appuient l'une à l'autre comme deux aimants que l'on ne peut séparer. Les bras le long du corps pour gagner le moindre centimètre de place, vos mains forcément, si proches l'une de l'autre, finissent par s'effleurer. L'onde électrique qui en surgit remonte dans votre membre jusqu'à interrompre une seconde votre cœur, et, addict de cette nouvelle sensation, vous en recherchez à nouveau le contact. Une étrange force d'attraction vous fait relever secrètement l'index pour ne serait-ce que retrouver la tiédeur du dos de sa main, puis vous oblige, avide de plus encore, à remonter le long de son bras, ressentant le frisson qui se propage sur toute la surface de sa peau nue, jusqu'à atteindre son épaule, sa mâchoire, le relief de sa clavicule.
Il fait nuit dehors, vous ignorez l'heure, et vous ne savez pas depuis combien de temps vous êtes réveillés, ou si même vous avez réussit à vous endormir. Une seule chose : la personne qui squatte votre lit d'hôpital partage peut-être le même état de transe dans lequel vous vous trouvez. À la chaleur presque brûlante qui se dégage de son corps, au souffle sonore et saccadé qui s'échappe de ses lèvres et qui ne fait qu'alimenter le feu qui vous consume déjà, à sa manière de se tordre, recherchant votre contact. Vous pourriez presque entendre les puissants battements de son cœur.
   Sans que vous ayez le temps de vous en apercevoir, guidé par le désir qui a prit possession de toutes les cellules de votre corps, vos lèvres se trouvent dans l'obscurité noire. C'est un baisé brûlant, des gestes empreint d'une certaine brutalité qui cherchent à établir une domination sur l'autre.
   Gabriel a plus d'expérience. Ses mains sont confiantes, savent avec une étrange précision où se poser : elles s'agrippent avec force aux vêtements de Jordan, glisse le long de sa nuque, s'infiltre sous son t-shirt, empoignant ses hanches ; n'ont rien à voir avec les gestes tremblants et maladroits de Jordan dont le cœur s'affole d'une drôle de manière à chaque fois qu'il pose la main quelque part. L'impression de se brûler au contact de courbes nouvelles et inconnues. Non pas creusées comme pourrait l'être celles d'une femme mais droites, brutes, implacables, trahissant une certaine puissance, une certaine virilité, contre laquelle Jordan ne peut que s'abandonner, vulnérable.
Gabriel le rend vulnérable.
Par l'assurance de ces gestes qui savent exactement où appuyer — Jordan ne pensait pas ignorer ainsi son propre corps, y découvrant de nouvelles zones, des parcelles de sa peau dont il ne connaissait pas l'existence, la sensibilité, à travers les mains robustes de Gabriel — , par la vivacité de ses lèvres contre les siennes, chaudes, humides. Leurs langues se trouvent, se brusquent comme s'ils cherchaient chacun à s'engouffrer dans la gorge de l'autre, à conquérir plus encore sa bouche, ses lèvres, sa langue. Avide, complètement avide. Ivre même.
   Tout est différent. Les lignes dures et masculines de la mâchoire de Gabriel, la sensation piquante de la barbe naissante de ce dernier contre la peau de son visage. Jordan y retrouve une certaine violence qui l'excite davantage, qui enflamme chaque membre de son corps ; trouve un plaisir étrange et incertain à s'y soumettre, à lui appartenir.
Des sensations qui, dans ce noir total, lui semblent prohibées. Le sentiment enivrant de déroger aux règles, d'aller à l'encontre de principes qu'il n'a pas choisit et qu'il pensait profondément ancrés en lui. Embrasser les lèvres fermes d'un homme, toucher, se faire toucher par les mains vigoureuses — et si tendres à la fois — de Gabriel.
Faire danser les limites de l'interdit.

La raison du plus fort (Bardella x Attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant