— Je ne la sens pas ton histoire Gabriel, c'est une très mauvaise idée.
Nora est, une nouvelle fois, garée devant l'allée menant chez Jordan Bardella, bien qu'elle ait tout fait pour s'y opposer ; en vain, devant un Gabriel qui n'en démordait pas. Elle est inquiète. Parce qu'elle vu l'état de Gabriel hier soir et craint qu'il puisse y replonger. Elle ne comprend pas bien ce qu'il se passe entre ces deux là mais se rend bien compte de la détresse de son ami depuis qu'il a rencontré Jordan. Il ne contrôle plus rien, a complètement perdu la raison et passe d'une émotion à une autre en un claquement de doigt. Elle a l'impression de revivre sa rupture avec Stéphane — durant laquelle elle a passé ses journées à le ramasser à la petite cuillère — ce qui est plutôt mauvais signe.
— J'observe juste, dit Gabriel, les yeux presque collés à la vitre.
Calme en apparence, il bouillonne de l'intérieur. Cette carte d'invitation — il la serre dans son poing — , c'est de la provocation, c'est du foutage de gueule. Il ignore pourquoi Jordan joue à ce jeu là — est-ce qu'il se rend compte du mal qu'il fait ? — mais Gabriel ne peut laisser passer un tel affront. Parce qu'il a un minimum de dignité à sauvegarder, quoi qu'en pense Nora.
— Faut-il toujours que tu t'entiche de mecs hétéro, soupire t-elle.
— Je ne me suis pas entiché, répond Gabriel, les joues rougissantes, et d'une voix faible, destinée davantage à se convaincre lui-même.
— Tu comptes faire quoi, au juste ? Lui sauter dessus dès qu'il mettra un pied deh-
Gabriel ouvre brusquement la portière, bondit de son siège, interrompant Nora, qui, jetant un coup d'œil au-dessus de lui, aperçoit Jordan sur le pas de sa porte.
— Gabriel, je t'interdis de-
Elle n'a le temps de terminer sa phrase que Gabriel lui claque la portière au nez. Ça recommence... Son impulsivité. Cette obsession qu'il avait autrefois pour Stéphane et qui visiblement a décidé de se remanifester aujourd'hui, sur une autre personne — Jordan — cette fois-ci, comme s'il portait deux œillères lui indiquant qu'une seule raison pour vivre, qu'un seul objectif à son bonheur, masquant tout ce qui gravite autour de lui, ses proches, son travail, sa santé. Nora en reconnaît tous les indices. Elle ne voulait pas l'admettre mais Gabriel va replonger... est en train de replonger.— Jordan Bardella ! s'écrit-il.
— Gabriel attends !
Ce dernier entend Nora courir derrière lui, choisit délibérément de l'ignorer. Elle ne peut pas comprendre, elle ne sait pas, pour le baisé. Pour ses mots, pour sa douceur, sur le trottoir devant La Rotonde. Pour son regard reflétant les étoiles absentes sur le ciel noir. Tous ces instants hors du temps qui n'étaient finalement qu'un jeu ? Un moyen de se divertir ? Quoi d'autre, Jordan ? Une méthode pour s'assurer que celui-ci aimait bel et bien les femmes ?
Jordan se retourne, alerté par les cris, distingue Gabriel, accompagné d'une femme qu'il n'a jamais vu, qui s'élance vers lui, avec une détermination qu'il ne lui connaissait pas, excepté peut-être le soir où il a voulu se baigner dans les eaux du Rhin. Mais ça ne compte pas, il était ivre. On est prêt à beaucoup de choses, après quelques verres.
Arrivé à sa hauteur, Gabriel, aveuglé par un cocktail de haine, de chagrin, de l'humiliation vécue, se rue sur lui, le pousse violemment en arrière de ses deux mains.
— C'est quoi ton putain de problème ?! hurle t-il.
C'est dans ses membres, c'est dans son corps, il ne contrôle rien, il a besoin de lui faire mal, de lui rendre ce qu'il lui a fait. Gabriel sent ses muscles trembler, son cœur se serrer, douloureusement.
— Arrête Gabriel, prononce Jordan d'une voix calme, trop calme, traduisant son sang-froid, ce qui énerve davantage Gabriel.
Pourquoi est-ce qu'il ne rend pas les coups ?! Gabriel se jette sur lui à nouveau, le pousse encore, ses deux mains sur son buste, cherche à provoquer une réaction de sa part.
— Réponds putain, c'est quoi ton putain de problème ?!
Nora tente d'intervenir, saisit le bras de Gabriel, qui se dégage brutalement, inconscient de sa force.
— Lâche moi ! Aboie t-il à l'encontre de son amie.
Les larmes lui brouillent la vue, lancinantes. Il ne supporte pas qu'on le touche, il ne supporte pas de le voir devant lui, indifférent, imperturbable. Cette façon de se laisser faire. Qu'il le frappe en retour, qu'il lui hurle dessus, tout mais n'importe quoi. Tout sauf cette imperméabilité.
— Pourquoi t'as fais ça... sanglote t-il.
— Qu'est-ce que t'as à l'œil ? ose enfin demander Jordan d'un ton autoritaire, quelqu'un t'a frappé ?
Gabriel reste confus quelques secondes, pris de court par la question. Ce n'est pas à quoi il s'attendait, pas après s'être jeté sur lui, pas après lui avoir crié dessus comme il vient de le faire. Est-ce qu'il essaye de changer de sujet ?
— Pourquoi est-ce que tu m'as invité à ton mariage !? lâche t-il, réinversant la tendance.
Le visage de Jordan se décompose subitement.
— Je... ne t'ai pas invité à mon mariage, bégaye t-il.
Gabriel sort de la poche de sa veste la carte d'invitation, complètement froissée, cette carte qu'il a relu encore et encore. Leurs deux noms — Jordan & Alice — mis côte à côte, et qui sonnent si bien ensemble, lui a brûlé le cœur. Il la tend à Jordan, la main tremblante.
Ce dernier s'en saisit, déconcerté. Il déplie la carte devant ses yeux. Le silence, qui ne durent que quelques secondes, semblent durer l'éternité tant Gabriel attend le verdict de Jordan avec impatience, avec nervosité. Un supplice.
— Alice... finit-il par murmurer d'un ton coupable.
— Quoi ?
— C'est Alice qui s'occupe de ces choses là, explique Jordan, visiblement embarrassé par la situation, elle t'a trouvé... charmant... la dernière fois, elle a dû vouloir t'inclure à la cérémonie.
Gabriel sent son cœur se serrer avec violence.
— Alors, ce n'est pas toi ? souffle t-il, un soupçon de déception dans sa voix.
Ce n'est pas ce qu'il voulait. Il n'est pas satisfait. Il ignore comment est-ce qu'il aurait souhaité que ça se termine, mais pas comme ça, pas sur cette conclusion là.
— Je ne serai pas allé jusque là, mais si tu veux venir...
Jordan s'interrompt, se rendant compte de la connerie qu'il s'apprête à dire. Vaut mieux en rester là.
Nora, qui était resté silencieuse jusque là, intervient, de peur que ça reparte en vrille.
— Gabriel... dit-elle, s'interposant entre les deux hommes — elle y ressentirai presque la tension électrique qui flotte entre eux — , tu as ta réponse, et si on y allait maintenant ?
Gabriel jette un dernier regard à Jordan, interrogateur, suppliant, désarmant, brisé, un mélange de tant de choses à la fois, qui pourrait être résumé en quelques mots, un ultime appel, une requête impossible, quelque chose qui frôlerait la folie, l'absurdité, la liberté. Quelques mots seulement : Ne le fais pas.— Je peux savoir maintenant ? se risque Nora, brisant la silence qui s'était installé depuis qu'ils ont reprit la route.
Gabriel se râcle la gorge. Que dire ? Il n'y a rien à dire, excepté que dans moins de 24h maintenant, Jordan sera marié. Jordan sera heureux. Le plus beau jour de sa vie, dit-on.
— Savoir quoi ? demande t-il tristement, la voix devenue rauque après avoir crié si fort.
— Je ne sais pas Gabriel, il y a tant d'hommes gay qui s'assument, pourquoi lui ? Pourquoi ce type ?
Gabriel hausse les épaules. Il n'a franchement pas envie de réfléchir à la question. Pourquoi lui ? Parce qu'il était là au bon moment, probablement. Parce que Gabriel est étrangement attiré par les situations compliquées, qui engendrent sur son chemin de la souffrance. Comme avec Stéphane. Hugo aussi, d'une manière différente.
— Franchement, enchaîne Nora, l'objectif c'était de débattre avec lui, à la base, parce qu'il est le complet opposé de ce que tu es, tu comprends ça ?
Ses mots sont durs, sont des aiguilles dans le cœur de Gabriel, mais ils sont vrais, c'est ce qui les rend aussi douloureux. Jordan et lui ne se ressemblent en rien. C'est un ennemi, un obstacle, dans sa trajectoire politique. Dans sa trajectoire personnelle désormais.
— Que va t-il se passer quand toi et lui vous vous présenterez à la Présidentielle ? Quand vous devrez débattre sur un plateau télé ?
Nora est autoritaire, ne laisse paraître aucune empathie. Elle sait pourquoi elle s'efforce à être ainsi. C'est un mauvais moment pour lui mais aussi pour elle. Quel autre moyen pour le protéger ?
— Parce que c'est ce qui va se passer Gabriel, continue t-elle sur le même ton, et tu as l'air d'être tout à fait prêt à le laisser te détruire.
Puis elle ajoute, d'une voix plus basse — Gabriel sent son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine lorsque ses mots l'atteignent — comme si elle n'assumait plus ses propres paroles :
— Il n'aura plus aucune pitié pour toi ce jour là.
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La raison du plus fort (Bardella x Attal)
Fanfiction"Félicitations, Monsieur Attal, vous êtes notre nouveau premier ministre." Quelques mots le début d'une divagation d'un homme dont les sentiments ont provoqué les convictions en duel. C'est une danse avec la solitude et la fragilité. Une ode à l'ab...