— Très bien, tout le monde à son poste.
Gabriel est réveillé par le brouhaha qui de manière soudaine s'élève et fait vibrer l'air autour de lui. Chacun s'est levé de sa chaise, discute à présent et en plusieurs petits groupes de la réunion qui vient de toucher à sa fin et que Gabriel n'a pas pu suivre, rattrapé par les heures de sommeil donc il manquait cruellement ; d'autres encore débattent de ce qu'ils vont déjeuner ce midi, d'un ton bien trop animé à son goût. Rien que de les entendre, Gabriel sent se retourner désagréablement son estomac, dégoûté par l'image même de n'importe quelle nourriture qui pourrait toucher ses lèvres. Il a avalé un truc hier soir, à contrecœur, histoire de ne pas passer l'arme à gauche, mais si ça ne tenait qu'à lui, il se serait contenté de quelques verres et d'un joint comme simple dîner.
Il se lève à son tour, désireux de retrouver la solitude de son bureau, de ne plus entendre parler de poisson cru, de curry ou autre connerie qui lui arrive à ses oreilles, lui donnant l'envie de vomir.
— Sauf toi, Gabriel, l'interrompt Emmanuel toujours assis au bout de la grande table.
Ça y est, le moment est arrivé. Une semaine maintenant à déambuler dans les couloirs comme un zombie en état avancé, une semaine à voir les dossiers s'empiler un à un sur son bureau jusqu'à effleurer le plafond, une semaine à décaler les rendez-vous, les visites, prétextant tout et n'importe quoi, des embouteillages, un dégât des eaux, un coup de fièvre. Il fallait bien qu'il se fasse reprendre à un moment ou un autre.
Embarrassé, s'efforçant d'éviter du regard Emmanuel toujours assis à sa place et triant méticuleusement ses documents, Gabriel attends que toutes et tous ait quitté la pièce, jusqu'à rendre leur place à nouveau au silence qu'Emmanuel se plaît à laisser durer dans une atmosphère pesante, presque cruelle, accentuée par le fait qu'à aucun moment, il ne cherche à croiser le regard de Gabriel.
— Je vais être clair, finit-il par énoncer, autoritaire, sa voix se répercutant contre les murs autour d'eux.
Enfin, Emmanuel relève la tête de ses occupations. Gabriel est saisit par son regard qu'il rencontre presque malgré lui, saisit par cette intransigeance, cette rigueur dont il a pourtant l'habitude mais est qui est cette fois-ci bien plus sévère, bien plus palpable, témoignant de la gravité de la situation dans laquelle Gabriel s'est laissé s'engloutir jusqu'à s'y noyer.
— Je te laisse deux solutions : tu trouves un moyen pour te reprendre et te remettre sur pied ou je trouve quelqu'un pour te remplacer.
Gabriel déglutit difficilement. Au ton brutal et définitif employé par Emmanuel, ce dernier ne laisse pas de place à quelconque négociation de sa part.
— Je vais finir par croire que tu n'es pas à la hauteur, ajoute t-il d'une voix faible, comme s'il venait de parler davantage pour lui-même.
La flèche est aiguisée, tranchante. Gabriel la reçoit en plein cœur, son poison — la sensation douloureuse d'avoir déçu sa seule figure paternelle restante dans ce monde — se répands dans tout son corps, accapare ses pensées. Gabriel semble réaliser, comme si les propos d'Emmanuel l'avait extirpé de son propre corps pour le forcer à s'observer de là-haut, de prendre du recul, être son propre ange gardien.
Le rêve d'un adolescent gâché par une peine de cœur insignifiante. Ce n'est pas lui. Ce n'est pas ce qu'il imaginait en accédant à ce poste tant convoité, et pour lequel il a tant sacrifié.
— Je vais me reprendre, promet Gabriel, la voix brisée par la fatigue.C'est dommage, Gabriel avait pourtant réussit à s'endormir ce soir. Après l'entretien avec Emmanuel, il a filé à la pharmacie prendre des somnifères, animé par une réelle volonté de passer à autre chose, de se remettre sur pied, rattraper ses heures de sommeil, se nourrir à nouveau, libérer ses pensées de son image. De son visage, de son rire qui ne cesse de résonner en lui.
Les effets furent radicaux. À peine le cachet a t-il passé les frontières de son œsophage que Gabriel s'est assoupi lourdement sur le sofa.C'est dommage, oui. Gabriel était pourtant au courant des risques qu'il prenait. Ne dit-on pas que les médicaments et l'alcool ne font pas bon ménage ?
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La raison du plus fort (Bardella x Attal)
Fanfiction"Félicitations, Monsieur Attal, vous êtes notre nouveau premier ministre." Quelques mots le début d'une divagation d'un homme dont les sentiments ont provoqué les convictions en duel. C'est une danse avec la solitude et la fragilité. Une ode à l'ab...