Chapitre 38

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   — Debout là-dedans !
   D'un seul coup vif, Nora tire vers elle le drap fin qui recouvre les corps presque nus des deux hommes qui s'y trouvent.
Il fallait voir sa réaction lorsqu'elle a poussé la porte de la chambre de Gabriel. D'abord, l'odeur. Une odeur étouffante, une odeur de sueur se mélangeant à celle déjà désagréable des hôpitaux. Un cocktail écœurant de transpiration et de désinfectant qui lui donna envie de vomir son petit-déjeuner du matin.
Puis, Nora a vu. Leurs jambes s'entremêlant, leurs bras s'agrippant au corps de l'autre. Leurs deux visages endormis, bien trop proches pour qu'il ne se soit rien passé de physique là-dedans. Elle rejeta les images malsaines qu'il s'infiltra de force dans son esprit au risque d'en perdre son estomac déjà retourné.
Gabriel et Jordan s'écrasaient presque dans ce petit lit une place, ce qui n'avait pas l'air de leur déplaire. Bienheureuse d'être la première à être entré ici, Nora se précipita sur la fenêtre qu'elle ouvrit entièrement dans l'espoir de chasser un peu l'odeur asphyxiante qui croupissait dans la pièce avant qu'une infirmière toque à la porte.
Puis, enfin, elle décida qu'il était temps qu'ils ouvrent les yeux.

— Eh oh ! Debout !
Plus que la voix de Nora, c'est le courant d'air glacé se glissant sur la surface de leur peau qui désagréablement réveille les deux garçons.
   Jordan est le premier à ouvrir les yeux et à apercevoir Nora à travers ses paupières papillonnantes. Réalisant — peut-être un peu trop tard — la situation vestimentaire dans laquelle il se trouve, il saisit brusquement le drap du lit avec lequel il se recouvre à nouveau.
   — T'es malade ou quoi ?! réagit t-il, brutalement sorti de son sommeil et le visage cramoisie par la honte.
Il reçoit en réponse le t-shirt qui trainait sur le sol de la chambre en pleine face.
— Habille-toi.
— Ce n'est pas à moi.
Bien plus large d'épaule, Jordan craquerait sans aucun doute les vêtements de Gabriel s'il essayait ne serait-ce que de les enfiler.
— Gabriel ! appelle Nora, manifestant son exaspération.
Ce dernier ne bouge pas d'un cil, un souffle faible et régulier franchissant ses lèvres entrouvertes, d'où un filet de bave s'échappe au passage, tâchant l'oreiller sous sa joue.
   — Gabriel, allez, insiste Jordan, lui secouant doucement le bras.
   — Hmmmmmmm...
   — Réveille-toi...
Les paupières toujours close, un léger, presque imperceptible sourire se dessine sur le visage de Gabriel, puis celui-ci glisse d'une manière aguicheuse ses bras autour de la taille de Jordan, recherchant la chaleur de sa peau nue.
   — Viens là... murmure t-il entre ses lèvres, la voix éraillée par les heures de sommeil qui ont précédé.
   Puis il ajoute, le timbre toujours rocailleux et le visage encore à moitié endormi :
   — Tu ne devineras jamais de quoi j'ai rêvé toute la nuit....
   Si les joues de Jordan étaient rendue rouge déjà par l'intervention inopinée de Nora, elles deviennent à l'instant où ces derniers mots franchissent les lèvres de Gabriel plus écarlates encore, le confondant à présent aux pétales d'un coquelicot.
   Angoissé par ce que Gabriel pourrait par inadvertance révéler davantage des événements de la nuit, Jordan se racle volontairement et bruyamment la gorge, lui indiquant implicitement de se taire.
Gabriel, confus, papillonne à son tour des paupières, éblouie par la lumière du jour dont les rayons éclatants de fin de matinée font une entrée triomphante par la fenêtre grande ouverte.
   Tournant la tête, il aperçoit enfin son amie se tenant au pied du lit, le toisant du regard, les poings sur les hanches et les sourcils froncés.
   — Putain Nora ! sursaute t-il, se redressant instantanément.
   Ce geste bien trop brusque semble produire ce qu'il pourrait comparer à un coup de couteau violent dans l'estomac ; douleur qui ne fait qu'alimenter son irritation soudaine.
   — L'intimité des gens, ça te dit un truc ?!
   — Quelle intimité ?! s'offusque Nora, t'es pas chez toi ici !
   C'est au tour de Jordan d'intervenir, embarrassé toujours d'avoir été surpris presque nu, un unique bout de tissu recouvrant ses fesses, et partageant les draps avec Gabriel.
   — Ça ne t'empêchait pas de toquer avant d'entrer.
   — Excuse-moi Jordan mais...
   Le ton sarcastique qu'emploie Nora calme d'emblée la tentative de rébellion dont fait preuve Jordan à son tour.
   — ... tu n'as pas une femme ? Une maison ? Un travail ?!
   Il n'en fallait pas plus pour faire taire les deux garçons qui soudainement se retrouvent à se noyer chacun dans leur propre culpabilité, l'un ayant couché — si l'on peut appeler ça coucher — avec un homme marié ; l'autre ayant fuit ses responsabilités familiales et professionnelles.
   — C'est bien ce qu'il me semblait, conclue Nora, un sourire satisfait, presque cruel, animant ses lèvres face au silence coupable qu'elle reçoit en réponse.
   Elle ajoute, ramassant le second t-shirt traînant au sol :
   — Jordan, tu viens avec moi.
   — Où ?
   — Récupérer les documents de Gabriel pour qu'il puisse sortir.
   — Pourquoi est-ce que je devrais venir ?
Pour beaucoup de raisons que l'égo de Nora lui refuse d'admettre à haute voix. Parce que ça te concerne désormais. Parce qu'il t'a inclut dans sa vie et que je n'ai pas d'autres choix que de m'y plier. Parce que tu as passé plus de temps ici à son chevet que n'importe quel autre membre de sa famille. Parce que je vois la manière dont il te regarde et que ce n'est pas anodin. Parce qu'enfin il est en retour regardé autant qu'il le mérite.
— Habille-toi et arrête de poser des questions, soupire t-elle, refoulant ses pensées.
   — Parce que c'est le moment qu'elle a choisit pour te prendre à part et te dire que si tu me brises le cœur, elle te tue, souffle Gabriel, affichant un sourire faussement innocent sur son visage.
Deux enfants. Nora a l'impression d'avoir à s'occuper de deux enfants. Derrière l'attitude agacée qu'elle s'efforce d'adopter pour ne pas perdre la face, elle doit l'avouer, il y a quelque chose qui l'amuse intérieurement.
Quelque chose aussi dans le comportement de Gabriel que depuis longtemps elle n'avait pas vu faire preuve d'autant de spontanéité. Lui qui progressivement a prit l'habitude de tout calculer — les mots, les réactions, les sourires — de tracer les lignes de ses journées, les lignes de sa vie avant même de la vivre — son métier l'a rendu ainsi — semble depuis quelque jours, depuis quelques semaines, se foutre bien royalement de tout ce qui le touche de près ou de loin.
— Allez, dépêchez-vous de vous habiller, râle Nora, consciente de l'heure qui tourne.
La preuve en est que même au bord de la mort, Gabriel n'est pas censé être du genre à rester au lit jusqu'à midi comme il vient de le faire.

La raison du plus fort (Bardella x Attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant