Qu'est-ce qu'il avait de plus qu'un autre de toute manière ? Enfin, il y a avait bien le son de son rire, ce ton provocateur et insolent... Non, Gabriel, ne soit pas stupide, tu en as vu d'autres... Quoi qu'aucun n'a braqué un cinéma pour toi...
— Gabriel, putain, tu notes ?
Sorti brutalement de ses pensées, Gabriel se redresse sur son siège, les membres engourdis, fatigués, les battements de son cœur qui tapent douloureusement contre les parois de son crâne.
— Excusez-moi, soupire t-il sans un regard pour son audience, si voûté sur sa chaise que l'on aurait dit qu'un fil invisible le tirait vers le sol.
Il ajoute, s'efforçant de reprendre le contrôle sur son esprit harassé :
— Vous disiez ?
— Nicole te faisait son compte-rendu sur sa visite des établissements de Nice pour la rentrée, répond durement Alexis, mais tu préfères visiblement mâchouiller ton stylo comme un gosse de quatre ans.
Gabriel jette un rapide coup d'œil sur le stylo posé en face de lui, qui, il doit le reconnaître, ne ressemble plus à grand chose. Puis il revient, plissant les yeux, sur sa feuille, dont les lettres manuscrites se dédoublent et se mélangent pour ne former finalement qu'un grosse tâche d'encre noire illisible.
— Ça va, Alexis, calme toi, réagit Nicole au bout de la table.
Gabriel souffle longuement, comme s'il espérait se débarrasser soudainement de toute la fatigue qui affaiblit son corps et son esprit depuis deux jours. Deux jours et deux nuits pendant lesquels il a si peu dormi, torturé par ce nœud qui constamment lui resserre l'estomac, si bien qu'il n'a rien avalé depuis la nuit au cinéma. Sauf peut-être les nombreux verres d'alcool, seule chose qui le tient éveillé la journée. À part ça, rien de solide, et Gabriel le ressent dans ses bras, dans ses jambes, qui tremblent au moindre effort ; dans son cerveau, qu'il n'arrive pas à garder attentif.
— Me calmer ?! Ça fait une heure que ça devrait être terminé cette histoire ! s'écrit Alexis, scandalisé de constater qu'il est le seul à reprocher le comportement — ou il devrait dire plutôt le non-comportement, pense t-il — de Gabriel, complètement absent et qui leur a fait perdre tant de temps rien que ce matin.
— C'est bon, on reprend, pour de bon cette fois-ci, assure Gabriel, la voix éraillé, trahissant sa fatigue.
Puis d'un geste mécanique, il range son iPhone posé sur la table, se débarrassant ainsi d'une distraction supplémentaire. Il le déverrouille au passage, espérant sans s'en rendre compte voir apparaître son prénom à l'écran. Un réflexe qu'il a adopté cette dernière semaine et dont il n'arrive pas à se débarrasser, et plus particulièrement ces deux derniers jours.
Gabriel s'avachit dans son siège, une fois seul avec le silence, s'efforce d'ignorer la montagne de dossier qui s'est empilé sur son bureau. D'un geste coupable, il tire le tiroir à sa gauche, en sort une petite bouteille en plastique qui semble contenir à première vue de l'eau, de par la transparence du liquide qui la remplit.
Gabriel en déjà vidé la moitié, rien que ce matin, et déjà ressent l'envie presque insoutenable d'en reprendre rien qu'une gorgée, de sentir la chaleur lui inonder les organes, le corps, desserrer quelques instants son cœur meurtri.
Rien qu'une gorgée...
Tandis qu'il commence à dévisser le bouchon de la bouteille, trois coups retentissent soudainement contre le bois de sa porte. Sursautant, Gabriel range précipitamment la bouteille à sa place, refermant d'un coup sec le tiroir de son bureau.
— Oui ?
La porte s'ouvre lentement, laisse d'abord apparaître la tête de Stéphane dans l'entrebâillement de celle-ci.
— Je peux ? demande t-il d'une voix hésitante.
— Oui, b-bien sûr, balbutie Gabriel, surpris, presque confus de le voir ici, après ces longs mois à s'éviter.
Bien sûr, leur conversation de la dernière fois a sauvegardé le peu de lien qui restait entre eux, malgré la façon dont elle s'est terminé.
Stéphane entre silencieusement, prend soin de refermer la porte derrière lui, instaure pendant quelques instants entre eux une atmosphère étrange, incertaine.
— Tu vas bien ? finit-il par demander.
— Oui, pourquoi ?
— J'ai entendu de sales échos de la réunion de ce matin, je voulais m'assurer que tout allait bien.
Ça ne va pas bien, en réalité. Gabriel était loin de soupçonner que cette... rupture ? avec Jordan, bien qu'ils n'ont jamais été ensemble officiellement, aurait un tel impact sur lui, aussi bien mentalement que physiquement. Que cette rupture aurait un impact sur ses nuits, sur son corps, sur sa faim, sur la qualité de son travail. Il ne soupçonnait pas non plus que Jordan pourrait à ce point occuper son esprit, y laisser l'image de son visage, la douceur de son rire.
— Tout va bien, je t'assure, ment Gabriel, tâchant de paraître détendu, dissimulant d'un large sourire la peine qui abîme son cœur.
— Depuis quand tu bois sur ton lieu de travail ?
Ce serait idiot de croire que Stéphane ne verrait rien. Deux ans à vivre ensemble, forcément il reconnaît tous les signes qui ont progressivement bousillé ce qu'ils partageaient, ces signes que Stéphane a apprit à détester mais qui font que Gabriel est qui il est. D'abord, à sa jambe gauche qui fait vibrer l'air sous le bureau, Stéphane comprend que Gabriel est nerveux, probablement facilement irritable, qu'il garde en lui une sacré foule d'émotions qui ne demandent qu'à être libéré.
Puis, au teint violacé qu'à prit les cernes de ce dernier sous ses yeux, Stéphane est en mesure de soutenir que Gabriel n'a pas dormi de la nuit. Peut-être depuis 48h. Trois jours encore et elles auront gonflé de volume, passant du violet au gris foncé.
— Je n'ai pas bu, affirme Gabriel, mal à l'aise.
— Menteur.
Enfin, à sa manière de gigoter sur son siège, de changer régulièrement de position sans s'en rendre compte comme s'il cherchait à masquer quelque chose ; et à la taille de ses pupilles, presque entièrement dilatées, camouflant la couleur de ses yeux ternes, Stéphane sait que Gabriel a bu. Ce matin même.
— Vous avez rompu ?
Stéphane voit Gabriel tressaillir d'une manière à peine perceptible, affecté par les mots qu'il vient de prononcer.
— On a jamais été ensemble, répond Gabriel d'une voix monotone, feignant être insensible à la question de Stéphane.
— C'est dommage... murmure ce dernier d'un ton volontairement détaché, jetant son regard distrait par la fenêtre du bureau.
Puis il ajoute, haussant les épaules :
— Tu avais l'air vraiment épanoui, ça se ressentait chez les autres, dans ta manière de les manager.
Stéphane refoule le sourire qui menace ses lèvres, conscient que ses mots vont progressivement faire leur chemin dans l'esprit de Gabriel, qu'il connaît par cœur, peut-être malgré lui.
— Tout ça pour dire que tu ne devrais pas boire ici, si tu te fais choper, tu es mort, ajoute t-il, enclenchant la poignée pour sortir.
— Attends, intervient Gabriel, se levant maladroitement de son fauteuil, chancelant sur ses deux jambes.
Son état est bien pire que Stéphane le pensait. Ce dernier sent son cœur se serrer devant l'état misérable de Gabriel, incapable presque de tenir debout ; devant la morosité de ce regard vide, abattu. Un tableau qui fait péniblement écho à des choses qu'il a déjà vécu, qu'il a trop longtemps supporté, à une blessure qui à peine se referme, laissant une cicatrice qu'il saura indélébile.
— Comment tu sais, enfin, je ne te l'ai jamais dit donc comment tu sais qu'il y a — Gabriel se rattrape — qu'il y avait quelqu'un ?
— Je sais reconnaître quand tu es amoureux, Gabriel, répond faiblement Stéphane, un mélange de tristesse et de tendresse dans la voix.
Ce dernier voit Gabriel froncer les sourcils, troublé dans ses pensées, troublé brusquement par ce mot qui jamais il n'a formulé jusque là dans sa relation avec Jordan.
— Je ne suis pas...
Il s'interrompt soudainement, sent son cœur dans sa poitrine louper un battement douloureux.
Bordel.
— Si tu le dis, termine Stéphane, avant de quitter cette fois-ci la pièce, laissant Gabriel face à ses propres conclusions.
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La raison du plus fort (Bardella x Attal)
Fanfiction"Félicitations, Monsieur Attal, vous êtes notre nouveau premier ministre." Quelques mots le début d'une divagation d'un homme dont les sentiments ont provoqué les convictions en duel. C'est une danse avec la solitude et la fragilité. Une ode à l'ab...