* FLASHBACK *
— Tu as pu intervenir aujourd'hui ?
Marine sonde le regard de Jordan à travers son écran d'ordinateur. Il est tard, Jordan aimerait être couché, mais elle a insisté pour faire cette visio. C'est souvent comme ça avec elle. Elle vous appelle à n'importe quelle heure, qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit. Elle a dédié sa vie entière au Rassemblement National, donc si elle décide de vous appeler à minuit pour régler un souci, le plus insignifiant soit-il, vous avez tout intérêt à lui répondre.
— Jordan, ce n'est pas possible, ce sont tes législatives qu'on joue dès maintenant, tu ne peux rester en retrait et espérer que-
Aussi, son expérience dans la politique fait que vous ne pouvez rien lui cacher. Tant pas par les mots — le mensonge n'est pas un risque à prendre, Marine est une professionnelle du mensonge, elle sait mentir autant qu'elle sait reconnaître un menteur — mais par les expressions de votre visage. L'habitude des débats. Pas besoin de vous demander : telle chose s'est bien passée ? En quelques secondes, elle l'a déjà lu dans vos yeux. Ce peut être flippant. Plus tant que ça pour Jordan qui n'y voit que le relief de sa vie de maman, dont les enfants sont aujourd'hui des adultes confirmés.
— Je sais, je suis désolé, s'excuse Jordan dont le regard dévie sur son lit d'hôtel.
— Être désolé ne fera pas avancer les choses.
Parfois, ce peut être trop. Jordan a conscience du pourquoi Marine agit comme elle agit. Elle voit en lui l'espoir de ce qu'elle n'a pas réussi à accomplir. Elle se doit d'être intransigeante — c'est pour son bien — l'avenir du parti pour lequel elle a sacrifié beaucoup dépend de son élève. Jordan en a conscience. Mais quand il est 2h du matin, qu'il a passé une journée à se faire assommer par des discours barbants, les idées sont un peu moins en place dans son esprit. Il s'agace. Il aimerait souffler. C'est la seconde fois qu'on lui prend la tête depuis ce matin. Déjà, Gabriel Attal qui se mêle de son retard à l'Assemblée, puis Marine, toujours sur ses côtes, à surveiller ses moindres faits et gestes.
— Quand j'avais ton âge, je faisais en sorte d'intervenir sur tous les su-
— Écoute Marine, tu ne veux pas qu'on en reparle demain ? la coupe-t-il.
Ce soir, Jordan n'a pas envie. Il n'est pas d'humeur. Il sera plus apte à recevoir les leçons de son mentor demain, après une nuit de sommeil. Promis.
— Jordan, c'est important ce que je te dis, on ne peut pas report-
Jordan ferme brusquement son Mac, un geste irréfléchi qu'il regrette aussitôt. Il va se faire tuer. Merde ! D'un autre côté, il a osé. Il n'y croit pas lui-même. Il a envie de rire de ce qu'il vient de faire. C'est la première fois qu'il tient tête, qu'il raccroche au nez de Marine. Il s'en veut un peu, elle qui n'a toujours connu que l'échec, voilà qu'il lui met des bâtons dans les roues, comme un adolescent qui a répondu à sa mère. Mais en même temps... Il a besoin qu'on le laisse un peu respirer. Il n'a rien demandé de tout ça, après tout.
Son téléphone sonne. Marine. C'était évident. Si Jordan répond tout de suite, il repart pour des dizaines de minutes d'engueulades. Il n'a pas envie d'aggraver les choses. Ni de céder. Il faut qu'il sorte. Il attrape sa veste et quitte sa chambre, laissant son téléphone posé sur la table de chevet. Il ne pourra pas craquer s'il ne l'a pas sur lui.Il fait encore bon dehors. Les rues du centre-ville sont calmes, il n'y a personne. Jordan a pris soin d'éviter les rues dans lesquelles ils pourraient rencontrer du monde. Les bars, les restaurants. À la place, il se satisfait des vitrines des boutiques fermées, éclairées seules par la lumière dorée des réverbères. Il n'a pas l'habitude d'être confronté à une telle solitude, à un tel silence. À Paris, il y a du monde — et du bruit — partout. Jordan déambule, prend un tournant qui lui semble sûr. Il oublie l'heure, oublie sa fatigue. Il pourrait marcher jusqu'à l'aube. Qui lui interdit après tout ?
— C'est fermé Monsieur !
Jordan entend une voix, résonnante, qui parait provenir d'une centaine de mètres devant lui, brisant le silence de la ville. Il faut qu'il s'éloigne, il n'a pas envie d'être reconnu. Il commence à faire demi-tour quand il reconnaît une seconde voix. Il ne saisit pas les mots, mais il a déjà entendu cette voix. Aux tons employés, il y a altercation. Quelque chose se passe mal. Jordan pourrait se rapprocher, discrètement. Jeter un coup d'œil.
Tandis qu'il longe les murs, les voix se font plus proches et plus claires.
— C'est écrit 4h, là ! Regardez !
— Non non, je ferme maintenant, c'est terminé.
— Vous n'avez pas le droit de faire ça.
Les deux hommes apparaissent enfin dans le champ de vision de Jordan, devant un petit bar à peine éclairé et isolé du reste des commerces de nuit. Son cœur loupe un battement. Ce n'est pas possible... Que fait-il là ? Le destin s'acharne-t-il contre Jordan ? Gabriel Attal est à quelques pas devant lui — à nouveau — suppliant ce qui semble être le propriétaire du Gayot, qui fait des allers-retours dans et hors de son établissement pour rentrer les tables et chaises de sa terrasse.
— C'est pas écrit ça, c'est écrit 4h, vous pouvez pas fermer !
Gabriel a l'air avoir bu, sa cravate est de travers, il suit l'homme dans chacun de ses déplacements, agaçant distinctement ce dernier. Il se cogne contre les meubles, ses gestes et ses paroles sont exagérés, comme s'ils lui demandaient un effort considérable. L'on dirait un autre homme, loin de ce qu'il est d'habitude. Non plus un homme discret et pudique comme Gabriel a l'habitude de le montrer mais criant, tapageur, dissident.
— Eh vous là ! Vous êtes Jordan Bardella ?
Le propriétaire du bar a repéré Jordan, qui s'était planté au coin de la rue, incapable ni d'avancer ni de faire marche arrière devant le spectacle qui se produisait devant lui.
— Faites quelque chose avant que je sois obligé d'appeler la police.
Jordan déglutit. Il n'aurait pas dû s'approcher. Il aurait dû rentrer chez lui, répondre à Marine, suivre le cours normal des choses. Si la police intervient, il sera forcément impliqué dans cet incident. Il y aura des articles, des photos. Sa popularité va en prendre un sacré coup. Les gens vont spéculer : que faisait-il avec le Premier Ministre de Macron, bourré qui plus est, à se crêper le chignon avec un propriétaire de bar ?
— Appelez-la, la police ! Qu'on voit qui- qu'on voit qui qui rigolera le dernier !
Gabriel provoque, peine à aligner deux mots, tape du pied dans une poubelle. Jordan s'avance prudemment et à contrecœur vers ce dernier, qui semblait jusqu'à maintenant trop occupé par son différend pour lui prêter de l'attention.
— Monsieur Attal ? tente-t-il, vous devriez rentrer.
— Je rentrerai quand il sera l'heure de fermer.
Le barman l'ignore, dépassé par les évènements. Il entre dans son bistrot et verrouille derrière lui, léguant son fardeau à Jordan, qui préfèrerait partir en courant. Gabriel s'approche de la vitrine, désormais plongée dans l'obscurité, tape du poing.
— Laissez-moi entrer ! hurle-t-il, son souffle créant un halo de buée sur la vitre.
— Monsieur Attal, s'il vous plaît.
Jordan le supplie presque, surveillant leurs arrières. Ils vont finir par être remarqué. Il faut que ça s'arrête maintenant où ils risquent de plonger tous les deux.
— Vous avez bu, vous devriez rentrer à votre chambre, vous avez une journée importante demain.
Gabriel se retourne enfin, porte son regard sur Jordan pour la première fois de la soirée. Ses yeux sont rouges, cernés. Ses cheveux en bataille. Il a ouvert le col de sa chemise — complètement froissée — pour pouvoir respirer, sûrement. Lui qui est toujours propre sur lui, bien coiffé, maquillé, ce nouveau portrait déstabilise Jordan un instant.
— Je veux rester ici, répond Gabriel sévèrement, croisant les bras pour indiquer qu'il campera en effet et quoi qu'il arrive sur ses positions.
Jordan soupire. Faut-il toujours qu'il soit aussi têtu. Il repense à ce matin, quand Gabriel l'a interpellé sur son retard, se mêlant de ce qu'il ne le regardait pas. N'est-il pas en train de lui faire la même chose ? Il pourrait le laisser se débrouiller tout seul, puisqu'il y tient. Non, non... Il ne faut pas. La situation est différente. Il secoue la tête pour se débarrasser de cette pensée invasive. Gabriel devrait le remercier au contraire, Jordan essaye de lui sauver sa réputation. Si on le voit dans cet état, il sera à la Une des journaux le lendemain, et forcé de démissionner. Qu'on lui retire son poste de Premier Ministre, ils n'attendent que ça au parti, mais pas comme ça. Pas de manière aussi inhumaine et humiliante. Personne ne mérite ça.
Jordan tâte ses poches à la recherche de son téléphone, puis réalise. Merde. Il l'a volontairement laissé sur sa table de chevet. Il jette un regard à Gabriel.
— Je n'ai plus de batterie, dit ce dernier en haussant innocemment les épaules, un sourire provocateur en coin.
Jordan se prend la tête entre ses mains, essaye de garder son calme, de temporiser. Putain. Il s'appuie contre un mur, réfléchit à une solution. Où est-ce qu'il pourrait trouver un taxi ? Un téléphone pour appeler un taxi ? Un restaurant ? Non, trop risqué. Trop de monde encore à cette heure-ci. Ils pourraient rentrer à pied l'hôtel si Gabriel daignait collaborer, mais ce n'est pas le cas. Il se contente de regarder Jordan, souriant fièrement comme un adolescent fier de sa connerie. Laisse-le ici, lui cri un coin de son esprit. Or, il s'en voudrait s'il le faisait. Non, il va trouver une solution. Il pourrait faire l'aller-retour jusqu'à sa chambre, rapidement, en courant même, prendre son téléphone et revenir appeler un taxi. Le mettre de force dedans et tout serait réglé. Voilà, il va faire ça. Gabriel n'a pas envie de bouger de toute façon. S'il fait assez vite, personne n'aura eu le temps de le croiser.
— Je reviens, ne partez pas d'ici.
— Vous allez où ?
— Chercher mon portable.
Silence. Gabriel fronce les sourcils, regarde Jordan d'un air méfiant, interrogateur.
— Vous ne bougez pas d'ici, d'accord ?
Nouveau silence.
— Gabri-Monsieur Attal, promettez moi.
— D'accord, je reste ici.
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La raison du plus fort (Bardella x Attal)
Fanfiction"Félicitations, Monsieur Attal, vous êtes notre nouveau premier ministre." Quelques mots le début d'une divagation d'un homme dont les sentiments ont provoqué les convictions en duel. C'est une danse avec la solitude et la fragilité. Une ode à l'ab...