— Gabriel, ouvre-moi !
Planté devant la porte de l'appartement de ce dernier, dans le hall froid de son immeuble, Jordan n'obtient en réponse qu'un silence creux et inerte, qui lui resserre douloureusement le cœur.
— Je resterai toute la nuit ici s'il le faut.
Car pourtant, malgré sa voix qui résonne seule dans l'air, Jordan est persuadé qu'il est là, derrière la porte. Il refuse de croire qu'il soit ailleurs qu'ici, à quelques mètres de lui, un mur seulement les séparant.
— Laisse-moi t'expliquer, ne gâche pas tout s'il te plaît.
Par tout, il entend : tout le chemin parcouru ensemble jusqu'à maintenant, les confessions échangées tard le soir, ces deux fois où il a pu — son estomac se retourne avec violence rien qu'en y repensant — presser ses lèvres contre les siennes, s'y abandonner, se désistant de tout ce qu'il pensait avoir acquis, de tout ce qu'il pensait s'être convaincu depuis sa naissance. Gabriel a remit, remet constamment tellement de choses en question depuis qu'il a, malgré lui, fait irruption dans sa vie, cette fameuse nuit à Strasbourg, sous un ciel à peine étoilé.
Une nuit qui semble remonter à si loin, au vu de la vitesse à laquelle s'est développé ses sentiments.
Ses sentiments ? Quel mot mettre sur ses étranges sensations qui lui inondent, lui enflamment la totalité des atomes de son corps, à chaque fois qu'il s'approche — non, car il suffit seulement que Gabriel, son visage, ses yeux, ses lèvres, surgissent aux frontières de son esprit, c'est-à-dire tout le temps, chaque seconde, pour qu'il la ressente, cette flamme qui lui consume le corps.
— J'ai eu un problème avec Ali-
Non, ta gueule, très mauvaise idée.
— J'ai eu un problème à régler, se rattrape t-il.
C'est ridicule, les propos de Jordan sont ridicules, celui-ci s'en rend compte, ce n'est pas avec des excuses qui ne veulent rien dire que Gabriel va lui ouvrir la porte. Or, il n'a aucune idée de comment le convaincre, là, à 23h passé, seul dans ce couloir silencieux. Il n'a aucune idée de ce qu'il pourrait dire de plus. Que faire, à part se mettre à genoux et l'implorer de lui ouvrir cette fichu porte qui sépare leurs deux corps ?
— Je resterai ici jusqu'à ce que tu crèves de faim et que tu sois obligé de sortir pour te nourrir, s'écrit Jordan, s'asseyant en tailleur le long du mur, tout à fait sincère dans ses propos.
Il veut être têtu ? Je peux l'être aussi. Plus que lui.
— Et s'il faut que je reste éveillé pendant un mois entier pour te voir, je le ferai !Dix minutes plus tard, Jordan ronflait contre le carrelage glacé du sol sous ses fesses.
— Jordan !
Ce dernier se réveille en sursaut, une sensation froide et désagréable d'humidité sur sa joue droite. Il se relève difficilement, courbaturé, essuie d'un coup de manche la trace de bave sur son visage. Puis il lève les yeux lentement, sent immédiatement son cœur s'arrêter. Gabriel le surplombe de toute sa hauteur, le toisant du regard.
— J'aimerai rentrer chez moi, dit-il d'un ton brutal.
Jordan jette un coup d'œil derrière lui, se rend compte qu'il bloque en effet la porte ouvrant sur l'appartement de Gabriel. Il était donc dehors depuis tout ce temps. Combien de temps ? Pas longtemps vu l'obscurité qui domine encore autour d'eux. Il fait toujours nuit, Jordan n'a pas dû dormir longtemps.
— Où est-ce que tu étais ? demande celui-ci, désemparé par la puissance de l'ombre que Gabriel projette sur lui.
Ce dernier échappe de ses lèvres un rire qui ne sert qu'à masquer son agacement, frappé par le culot dont fait preuve Jordan, qui ose lui poser une telle question comme si Gabriel était le principal suspect dans cette histoire.
— Je suis allé me changer les idées.
Puis il montre pour prouver ses propos les deux sacs de course en papier qu'il tient dans chacune de ses mains.
— C'est une heure pour faire des emplettes ? tente de plaisanter Jordan — le mot le faisant plutôt rire — , mal à l'aise face à cet état de tension qui s'est imposé entre eux malgré lui.
— C'est une heure pour débarquer chez moi ?
A la rudesse du regard de Gabriel dont il n'obtient pas même l'esquisse d'un sourire, Jordan comprend qu'il ferait mieux de se taire. Il se renfrogne, enfonçant sa tête dans ses épaules. Il n'est clairement pas en position de force, et Gabriel a bien l'intention de lui faire comprendre qu'il a, une nouvelle fois, bien merdé son coup.
— Je suis désolé, Gabriel, cède Jordan, la voix frêle, j'allais venir, je te le promets, mais j'ai eu un contretemps ce soir.
— Avec Alice ?
Si Jordan avait prévu de lui dire la vérité sur les raisons de son retard, il ne s'attendait pas à ce que le Gabriel le devance ainsi, qui plus est sur un sujet si tabou entre eux, et dont la simple évocation donne habituellement à chacun des sueurs froides.
— Euh, enfin, oui, bégaye t-il, déstabilisé, mais ce n'est pas ce que tu crois.
Nouveau rire de Gabriel.
— Bien sûr, dit-il, levant les yeux au ciel.
Ce n'est jamais ce que l'on croit.
— Non, vraiment, ce n'est pas ce que tu crois, insiste Jordan, comme s'il venait de lire dans les pensées de Gabriel.
Les yeux plantés dans les siens, Jordan ne le lâche pas du regard, animé par la volonté ferme de lui prouver, de lui montrer, qu'il ne lâchera pas l'affaire.
Devant cette détermination, qui lui apparaîtrait presque comme un caprice d'enfant devant lequel il n'a pas d'autre choix que de capituler, Gabriel soupire longuement, pose ses deux sacs au sol, et, à la grande surprise de Jordan, qui ne sait pas tout de suite comment réagir, lui propose sa main pour l'aider à se relever.
— Dépêche-toi, je n'ai plus la nuit devant moi.
Réalisant que c'est bien sa seule chance et que Gabriel ne se montrera pas régulièrement aussi généreux et altruiste envers quelqu'un qui mérite tout le contraire, Jordan s'exécute. Il attrape sa main — la chaleur de ce contact se propage aussitôt dans tous les membres de son corps — puis se relève, s'appuyant sur son bras, jusqu'à arriver au niveau de son visage, à quelques centimètres de ses lèvres. Il sent Gabriel frémir, perdre un instant le masque qu'il s'efforce de porter par fierté. Un sourire mi-provocateur élargit les lèvres de Jordan, conscient de l'effet qu'il produit.
— Pousse-toi de là, se reprend Gabriel, obligé de baisser la tête pour ne pas avoir à dévoiler la couleur de ses joues.
Jordan, satisfait, s'écarte, le laissant accéder à la serrure de sa porte.
Première victoire à son compteur.
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La raison du plus fort (Bardella x Attal)
Fanfiction"Félicitations, Monsieur Attal, vous êtes notre nouveau premier ministre." Quelques mots le début d'une divagation d'un homme dont les sentiments ont provoqué les convictions en duel. C'est une danse avec la solitude et la fragilité. Une ode à l'ab...