Paris, 1921. Huit heures sonnaient.
Le matin naissait à peine, mais déjà les trottoirs de Paris étaient envahis par les employés pressés de rejoindre leurs bureaux et les ménagères courant d'une boutique à l'autre.
La ville bourdonnait de l'intérieur, comme une ruche en plein éveil. Les voitures à chevaux côtoyaient les premières automobiles, et le claquement des sabots se mêlait au ronflement des moteurs.
Malgré cette agitation effrénée, une jeune femme arpentait les rues pavées du quartier de la Madeleine, les mains dans les poches qu'elle avait cousu elle même à sa robe.
L'air tranquille, pas le moins du monde pressée, elle avait la peau noire. Une peau qui attirait les regards, dans un Paris où la diversité n'était pas encore bien accueillie.
Elle marchait les épaules en avant sans se soucier d'être gracieuse ou élégante. Une allure que beaucoup auraient qualifiée de garçonnière au milieu de l'élégance féminine des parisiennes aux robes de soie et aux chapeaux à plumes.
Ndi go'o Mukaté. C'était ainsi qu'elle s'appelait.
Les pustules -ainsi appelait t'elle les blancs incapables de prononcer son nom comme ses racines l'exigeaient- l'avaient lâchement surnommée Indigo. Le terme lui laissait un goût amer, mais elle s'y était habituée.
- Je m'appelle Ndi go'o . Mais vous pouvez m'appeler Indigo, leur disait t'elle parfois.
Ndi go'o Mukaté avait les souliers troués jusqu'à l'os, mais rêvait d'une vie de liberté, loin des coutumes figées de la société.
Chaque matin, elle passait devant les vitrines des ateliers de mode de son quartier, là où des mannequins en dentelle fine et tissus somptueux attendaient les clientes des beaux quartiers. Mais il y avait un lieu où ses yeux s'attardaient plus longuement : la boutique au numéro 31, rue Cambon: l'atelier de Gabrielle "Coco" Chanel.
C'était ici que la révolution de la mode se jouait. Elle offrait une vision nouvelle, débarrassée des corsets étouffants et des robes à froufrous qui déterminait la femme de l'époque: il n'y avait qu'ici, des coupes qui libéraient le corps féminin.
Pour Ndi go'o, Chanel représentait plus qu'une couturière : elle incarnait l'essence même de la femme libre, celle qui ose.
Pourtant, la femme noire qu'était Ndi go'o n'était pas encore prête à franchir les portes de cette institution. Oui, pas encore . Elle n'était qu'une apprentie couturière, travaillant dans l'atelier d'un créateur mineur, rêvant secrètement de grandeur.
Elle traversa la boutique en murmurant pour elle : "Un jour, je serai là bas."
Une promesse qu'elle renouvelait chaque matin avant de reprendre sa route vers son propre atelier.
Pour l'instant, se disait-elle, elle se contentait d'user ses doigts par des aiguilles dans l'arrière boutique du Boucarré. Un atelier modeste perdu dans une ruelle.
***
L'arrière-boutique de cette petite maison de couture encore méconnue, était un lieu qui semblait presque figé dans le temps. Lugubre et sans vie, cet espace n'avait rien de l'effervescence créative que l'on associe aux maisons de mode.
Les murs, autrefois blancs, étaient maintenant ternis par la poussière et l'humidité. Les rideaux, tirés pour séparer l'avant boutique gardait cet espace sombre.
Ils laissaient passer une lumière faible, donnant à la pièce une ambiance étouffante, presque suffocante. L'air y était très épais, comme si les fenêtres n'avaient été ouvertes depuis des mois. Il y avait dans cet atelier, une fugace odeur de tissus moisis et de sueur stagnante. Le sol était jonché de morceaux de fil et de chutes de tissu qui n'ont jamais été ramassés.

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La peau noire
Tiểu thuyết Lịch sửDans le Paris des années 20, Ndi go'o Mukaté, une jeune femme d'origine camerounaise, rêve de révolutionner le monde de la mode. Avec son talent de couturière et sa vision unique de la mode, elle souhaite mêler l'élégance parisienne à ses racines af...