La condition

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La salle de l'atelier couture, la plus grande de toutes, s’étendait tout au fond du couloir de la maison Chanel.

Dès qu’on y entrait, l'atmosphère était empreinte d'une énergie fébrile. L’air y était chargé d’une odeur mêlée de tissu neuf, de cire, et parfois d’un soupçon de tabac provenant des pauses furtives des couturières.

Les étagères croulaient sous les rouleaux de soie, de coton et de laine, et des mannequins de couture bordaient les murs, certains encore habillés de prototypes inachevés.

Le bruit des ciseaux glissant sur les étoffes s'entremêlait au rythme cadencé des machines à coudre. Des conversations étouffées se fondaient dans les soupirs de fatigue ou de frustration. Les couturières, concentrée, travaillaient avec une précision quasi mécanique, leurs doigts volant d’une épingle à une couture, d’une retouche à une autre, sans un instant de répit.

Parmi elles, certaines affichaient un visage dur, marqué par les années passées à jongler avec les exigences des clientes de Chanel. Les plus jeunes suivaient attentivement les gestes de leurs aînées, apprenant à manipuler les tissus avec habileté. Ici, chaque geste comptait, chaque erreur coûtait cher : tout devait être parfait.

Dans cette maison, les relations entre les couturières oscillaient entre une camaraderie discrète et une subtile rivalité. Les échanges étaient brefs et portaient souvent sur des conseils ou des critiques de finitions d’une robe ou de l’ajustement d’un tailleur.

Leurs yeux étaient constamment rivés sur la grande horloge murale, car les délais étaient serrés, et la moindre minute perdue pouvait compromettre la livraison d’une commande.

Une centaine de couturières s'affairaient autour des tables de travail, la tête baissée et les mains activent.

C'est ce que Ndi Go'o observa, à peine entrée dans l'atelier. En avançant aux côtés de Coco Chanel, elle sentit les regards converger vers elle.

Sa présence aux côtés de Mademoiselle éveillait la curiosité de toutes.

Coco, réajusta son chapeau large bord noir, et s’adressa aux couturières :

— Mesdames, voici Ndi Go’o, une nouvelle couturière. Et elle sera mon apprentie personnelle.

Un silence s’installa, aussitôt suivi d’un murmure de surprise. Les nouvelles recrues étaient d’ordinaire confiées à Madame Devrière, la première d’atelier.

La femme était enrobée d’un tailleur austère dont la jupe était exagérément longue, avec une fente sur le côté. Sa démarche bancale, presque boiteuse, ajoutait à son allure une rigidité presque intimidante.

Madame Devrière s’avança, les sourcils froncés, un sourire contraint aux lèvres.

— Mademoiselle Chanel, êtes-vous certaine que je ne devrais pas m’occuper de la formation de cette jeune fille ? demanda-t-elle, polie mais visiblement piquée.

Coco Chanel hocha la tête, résolue.

— Non, Madame Devrière. Cette fois, Ndi Go’o apprendra directement auprès de moi.

Ndi Go’o, le cœur battant, sentit les regards lourds de jugement et d’envie des autres couturières. Elle serra discrètement les poings, déterminée à prouver qu’elle méritait sa place.

Alors que ses yeux parcouraient la salle, son regard se posa soudain sur un visage familier. Elle eut un léger sursaut. Marie Cléret ?

Les souvenirs remontaient…

Marie Cléret était là, les cheveux maladroitement coiffés, vêtue d’une robe simple, en train de coudre un ourlet.

C’était une fille de la bourgeoisie locale, celle qui, autrefois, semblait presque glisser sur le sol marbré de leur petite paroisse. Elle l’avait souvent aperçue près du presbytère, toujours impeccable, en vêtements luxueux qui semblaient faits sur mesure. Chaque fois qu'elle la voyait, Ndi go'o avait souvent ressenti cette jalousie sourde monter en elle.

La peau noire Où les histoires vivent. Découvrez maintenant