Marque d'affection

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Luffy ne laissait pas les gens le toucher. C'était quelque chose que Zoro avait remarqué au bout de quelques semaines. Son capitaine idiot et adolescent était d'une nature très extravertie, il riait souvent, parlait fort, n'avait aucun problème à exprimer son opinion. Mais il ne faisait jamais de démonstrations d'affection. Zoro lui-même n'était pas un grand amateur de câlins mais il ne refusait pas les gestes de ses nakamas quand ils en avaient besoin. Luffy arrivait à les éviter à chaque fois en faisant des pitreries, des glissades ou en changeant abruptement de sujet. L'épéiste doutait que quiconque s'en soit aperçu dans l'équipage, sauf Robin. Mais l'architecte n'en avait soufflé mot à personne alors Zoro fit de même : les affaires de son capitaine ne le concernaient pas. Des mois s'écoulèrent et la situation ne changea pas. Luffy enchaînait les cascades, les excuses et les idioties pour échapper aux démonstrations d'affection de Chopper, Usopp ou Nami.

Ils furent tous surpris d'apprendre que leur capitaine avait un frère sauvage qui se baladait dans la nature sous le drapeau de Barbe Blanche. Alors que tout le monde était occupé à poser plusieurs questions à l'utilisateur de feu, Zoro se concentra sur Luffy. L'adolescent était heureux de revoir son frère après trois ans de séparation mais l'épéiste pouvait cerner quelque chose d'autre. Le garçon était replié sur lui-même. Zoro, encore une fois, ne fit aucun commentaire, bien qu'il fit très attention à rester aux côtés de son meilleur ami. Au cas où.

Quand ils se retrouvèrent face à Barbe Noire pour la deuxième fois, Luffy perdit tout le contrôle qu'il avait sur lui-même. Or, l'adolescent s'était toujours légèrement retenu dans ses combats, même lorsqu'ils avaient fait face à Arlong et à Crocodile. Marshall D. Teach avait déclenché quelque chose de très important car lorsque Luffy en eut terminé avec lui, il était à peine reconnaissable. Zoro n'eut pas besoin de recevoir d'ordre pour comprendre qu'il devait achever l'homme. Pour plus de sécurité, il lui trancha la tête. Après cela, Luffy s'enferma dans ses quartiers de capitaine qu'il n'utilisait jamais. A ce moment-là, Zoro se décida à aller parler à son capitaine.

Il le trouva allongé sur le lit, les yeux ouverts montrant qu'il ne dormait pas. Zoro déposa ses épées contre un mur de la pièce exigüe et s'assit à califourchon sur la chaise du bureau. Par où devait-il commencer ? Il n'était pas doué avec les sentiments et il préférait de loin laisser les autres régler leurs propres problèmes (sauf s'il s'agissait de se battre avec quelqu'un. Il adorait se battre contre toutes sortes de forces pour acquérir de l'expérience). Au final, il décida de ne pas prendre de gants.

- Qu'est-ce que c'était ? demanda-t-il. Tu es devenu presque fou tout à l'heure.

- Il voulait tuer Ace.

- Tu as dit que ton frère était plus fort que toi. Il aurait pu s'en sortir tout seul.

Luffy haussa les épaules et tourna son dos à son second. Zoro soupira et ne bougea pas de sa place. C'était son devoir en tant que second et meilleur ami de rester ici jusqu'à ce que Luffy parle. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus besoin de lui.

- Ace est tout ce qu'il me reste, déclara l'adolescent au bout d'une heure de silence obstiné. Je ne peux pas le perdre.

- Tu nous as nous.

- C'est différent.

Zoro pouvait comprendre cela. Luffy ne remplacera jamais Kuina. Et ce fut grâce à cette pensée que l'épéiste comprit enfin la colère de son capitaine face à Barbe Noire.

- Tu as perdu quelqu'un, dit-il comme on annonce la météo.

- Ouais.

Comme on ouvre les vannes d'un robinet, Luffy ouvrit la bouche et se mit à parler. Il continua de déverser des mots pendant des heures et Zoro écouta tout. Il vit son capitaine sous un nouveau jour : un enfant traumatisé qui était terrorisé à l'idée de perdre un autre frère. Instinctivement, l'épéiste se déplaça sur le lit et prit son meilleur ami dans ses bras. Contrairement à toutes les autres fois, Luffy n'essaya pas d'esquiver. Il s'accrocha désespérément à Zoro et pleura pendant encore plusieurs heures. Au moins une journée entière avait dû passer depuis le combat et personne ne les avait encore dérangés. Ils comprenaient tous que le capitaine et le second réglaient des choses entre eux. Finalement, Luffy finit par se calmer, même s'il ne quitta pas le côté de Zoro.

- Sabo était le gentil frère. Il me soignait et me réconfortait quand je faisais des cauchemars. Après sa mort, Ace... il était en colère. Il n'a pas voulu m'aider quand je combattais cet ours et...

- Il a pensé que c'était de sa faute. Et il a refusé de te toucher de peur de te casser, devina Zoro.

Luffy hocha la tête. Voilà pourquoi il refusait toute forme d'affection : pour lui, c'était devenu synonyme de mort. Zoro resserra son étreinte et se promit d'être toujours là pour son meilleur ami.

- Allons manger quelque chose, décida Luffy.

- Ouais.

Par la suite, Luffy accorda un laissez-passer spécial à Zoro pour le prendre dans ses bras. Ce ne fut que quelques mois plus tard, lorsqu'ils rencontrèrent de nouveau Ace (et son équipage complet, mais qui s'en souciait quand ils étaient déjà tous enroulés autour du doigt de l'adolescent) que Luffy permit à quelqu'un d'autre que Zoro de l'embrasser. Un homme blond qui correspondait parfaitement à la description du frère perdu.

- Je suis désolé d'avoir oublié, dit Sabo. Je suis désolé Lu'.

- Tu m'as manqué ! pleura le jeune capitaine.

Et pour la première fois depuis un an qu'ils voyageaient ensemble, Zoro vit son meilleur ami se détendre complètement et sourire du fond du cœur. Cette nuit-là, quand ils organisèrent une fête immense et que les frères s'endormirent les uns sur les autres avec des visages paisibles, Zoro sut que son capitaine irait bien, quoi qu'il arrive.

Recueil de OS et de courtes histoires One PieceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant