Chapitre 10 - Jenifer

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Le soleil de l'été tapait lourdement sur nos têtes, et pourtant, l'air semblait plus glacé que jamais. Le barbecue crépitait doucement dans un coin du jardin, mais personne n'y prêtait attention. Autour de la table, nous étions tous réunis : mes parents, Jonathan et Maya, Gilles et Brigitte – les parents d'Arnaud –, Nina, Lucca... et Gianni, assis près de moi, jouant silencieusement avec un bout de bois qu'il avait ramassé dans l'herbe.

Je savais que ce moment arriverait. Ce n'était qu'une question de temps avant que la question de Gianni ne revienne sur le tapis. Et aujourd'hui, c'était inévitable. Arnaud et moi avions visité des écoles "classiques", mais la réponse avait toujours été la même : personne ne voulait de notre fils. Ils n'avaient ni les ressources, ni la patience, ni même l'envie de prendre en charge un enfant « comme lui ». Et ce rejet, une fois de plus, me poignardait en plein cœur.

Je pris une grande inspiration, mon regard fixé sur la table devant moi.

- On a reçu les réponses des écoles, annonçai-je d'une voix ferme mais lourde d'émotion. Elles ont toutes refusé de prendre Gianni.

Le silence qui suivit fut pire que n'importe quelle réponse. Jonathan, mon frère, fronça les sourcils en posant sa fourchette, tandis que Maya, ma belle-sœur le regardait avec une inquiétude sincère. Mes parents, eux, me fixaient avec cette bienveillance habituelle, mais ils savaient, tout comme moi, que ce n'était pas eux qui allaient poser problème.

Je jetai un coup d'œil à mes beaux-parents. Leurs visages fermés m'envoient un frisson glacé. Je savais déjà ce qu'ils allaient dire, mais cette fois-ci, je n'étais pas prête à encaisser sans réagir.

- Ils ont raison, lâcha finalement Brigitte d'un ton sec. Ces écoles ne peuvent pas s'occuper d'un enfant comme Gianni. Tu le sais, Jenifer, il est... trop difficile. Elles ne peuvent pas tout sacrifier pour lui.

Son ton, cette façon de réduire Gianni à un fardeau, fit exploser la colère qui bouillonnait en moi depuis des semaines. Mon fils n'était pas un problème. Il n'était pas un « sacrifice ». C'était un enfant, mon enfant, et il méritait autant que les autres d'être compris et aidé.

- Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! m'écriai-je, incapable de contenir ma rage plus longtemps. Gianni n'a pas besoin qu'on le considère comme un poids. Il a besoin qu'on l'accepte comme il est !

Mes mots étaient acides, tranchants. Mais Brigitte ne fléchit pas. Au contraire, elle redressa son menton, un rictus méprisant aux lèvres.

- Ne fais pas semblant, Jenifer. Tu le sais aussi bien que nous. Il ne s'adapte pas. Il ne s'adaptera jamais. C'est pour ça que même le centre de Biguglia a été un échec, n'est-ce pas ? Il n'a pas supporté d'être séparé de toi pendant deux heures. Qu'est-ce que tu crois que ça veut dire pour son avenir ?

Les mots de Brigitte étaient comme des coups de poignard, chaque phrase plus douloureuse que la précédente. Et avant même que je ne puisse répondre, Gilles en rajouta une couche.

- On en a déjà parlé, Arnaud. Ce gamin... il a des troubles. Des gros. Et c'est pas à la société de porter ça à ta place. Tu crois que c'est juste pour les autres enfants ? Tu crois qu'ils méritent de souffrir parce que ton fils ne peut pas suivre le rythme ?

Gianni leva les yeux, alerté par la tension dans les voix. Je sentis sa petite main se glisser dans la mienne, cherchant un refuge. Mon cœur se brisa encore un peu plus.

- Gianni n'est pas un extraterrestre, dis-je, la voix tremblante. Il a des difficultés, oui. Mais ça ne justifie pas de l'abandonner !

C'était trop. Je vis dans les yeux de Gilles qu'il n'avait aucune intention de comprendre, qu'il était enfermé dans ses jugements. Il ne voyait pas Gianni comme un enfant, mais comme une sorte de tare.

Nina, qui jusque-là s'était contenue, explosa à son tour, incapable de rester silencieuse face à l'injustice de la situation.

- Vous êtes des monstres ! cria-t-elle, le visage rouge de colère. Vous ne comprenez rien à ce qu'il vit, rien de ce que nous vivons ! Vous ne l'aimez même pas ! Vous préférez qu'il disparaisse, n'est-ce pas ?

Le choc de ses mots résonna autour de la table comme une gifle. Brigitte ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, Arnaud intervint. Il se leva brusquement, sa chaise raclant violemment le sol.

- Ça suffit ! gronda-t-il, d'une voix si froide et si tranchante que même Gilles recula légèrement.

Mais cette fois, Arnaud n'essayait plus de calmer la situation. Non. Sa colère éclata, brutale, incontrôlable. Il fixa son père droit dans les yeux, son corps tendu comme une corde prête à rompre.

- Comment tu oses parler de mon fils comme ça ? demanda-t-il, d'un ton si bas qu'il en devenait terrifiant. Tu ne le connais même pas. Tu ne l'as jamais regardé. Tout ce que tu vois, c'est un problème. À cause de toi j'ai mis quatre ans à comprendre que vous m'aviez monté la tête contre mon fils. Mais moi, aujourd'hui, je vois un enfant. Mon enfant. Et si tu crois que je vais laisser passer ça, tu te trompes.

Le regard de Gilles se durcit, mais il resta silencieux, visiblement pris au dépourvu par l'explosion de son fils. Arnaud ne s'était jamais opposé à lui avec autant de violence.

Je vis Gianni se recroqueviller un peu plus contre moi, son corps frêle tremblant de peur. Mon cœur se serra. Ce n'était pas ça que je voulais. Pas cette haine. Pas ces cris. Gianni ne comprenait peut-être pas tout ce qui se disait, mais il sentait la rage, la douleur qui montait autour de lui.

- Arnaud... murmurais-je doucement, tentant de le calmer, de le ramener à moi. Gianni...

Il tourna la tête vers moi, et je vis son visage s'adoucir un peu. Mais la colère brillait encore dans ses yeux.

- Vous allez rentrer chez vous, dit-il finalement, d'une voix rauque. Vous n'avez plus rien à faire dans ma maison.

Brigitte secoua la tête, visiblement abasourdie.

     - Je n'arrive pas à croire ce que tu deviens, Arnaud. Tu te laisses manipuler par tes émotions, par... par elle, ajouta-t-elle en me lançant un regard de mépris.

Je me levai à mon tour, Gianni toujours blotti contre moi. « Je ne manipule personne, Brigitte. Nous faisons de notre mieux pour Gianni, et si vous ne pouvez pas le comprendre, alors écoutez votre fils, vous n'avez rien à faire ici.

Brigitte et Gilles quittent finalement le jardin, laissant derrière eux une atmosphère lourde et oppressante. Le barbecue crépitait toujours, mais la chaleur de l'été semblait s'être évanouie, remplacée par une froideur glaciale.

Je serrai Gianni contre moi, essayant de le réconforter du mieux que je pouvais. Arnaud, épuisé par cette confrontation, s'assit lourdement sur une chaise, passant une main fatiguée sur son visage.

La journée qui avait commencé sous le signe de la convivialité s'était transformée en un champ de bataille émotionnel.

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Voici le dixième chapitre avec encore un peu de retard... Mais je m'en excuse, j'ai repris les cours aujourd'hui donc les chapitres seront sans doute poster vers ces horaires là ! Vous aurez le prochain demain.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez dans les commentaires ! À demain !

:)

L'écho du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant