Chapitre 2 - Arnaud

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Je monte dans la voiture, met le contact et me laisse envahir par le bruit du moteur. Je me sens plus léger, plus libre déjà, comme si quitter la maison m'ôtait un poids. C'est lâche, je le sais. Mais au moins, dans le restaurant, j'ai l'impression de maîtriser quelque chose. Là-bas, les problèmes ont des solutions concrètes : des plats à préparer, des clients à satisfaire, des chiffres à surveiller. Tout a un ordre, une logique, et surtout, rien ne me renvoie à ma vie familiale, à Gianni.

Je serre le volant plus fort en pensant à mon fils. Mon fils. Ce gamin de quatre ans qui ne me regarde jamais dans les yeux, qui reste enfermé dans son propre monde. Un monde où je n'ai pas de place. J'ai du mal à l'accepter, je dois l'avouer. Ce trouble qui le rend différent, qui le rend... compliqué. Jenifer s'est plongée dans tout ce qui concerne l'autisme dès qu'on a reçu le diagnostic. Moi, je n'ai jamais pu. J'essaie, je fais semblant parfois, mais la vérité, c'est que je ne comprends pas.

Gianni est un mystère pour moi, un enfant que je ne parviens pas à atteindre, et ça me fait mal, plus mal que je ne voudrais l'admettre. Alors, je me réfugie dans le travail. Là où les choses sont plus simples. Là où je sais que, même si tout n'est pas parfait, au moins, j'ai une prise sur ce qui se passe. Au restaurant, je suis Arnaud, le chef, le patron. Pas Arnaud, le père d'un enfant autiste, ni Arnaud, le mari qui ne sait plus comment parler à sa femme.

Il est 7 heures du matin lorsque j'arrive au restaurant. Il fait déjà chaud dehors, l'air du matin est calme, et tout semble en suspens, comme si le monde attendait de s'animer. En franchissant la porte arrière du restaurant, une sensation familière m'envahit. Ici, tout est sous contrôle. Ici, tout est clair.

Les cuisines sont vides pour l'instant. Je suis toujours le premier à arriver, avant que l'équipe ne se présente. J'allume les lumières, je vérifie les stocks, je commence à préparer les ingrédients pour la journée. C'est un moment de calme, un temps où je peux réfléchir en silence, avant que la tempête du service ne commence. Je me plonge dans les tâches mécaniques de la cuisine : éplucher, couper, mariner. Les gestes sont répétitifs, rassurants. Ils me permettent d'oublier, au moins temporairement.

Julie, l'une des serveuses, arrive à son tour, suivie par le reste de l'équipe en cuisine. Le restaurant commence doucement à s'animer. Les conversations s'élèvent, les bruits de casseroles et d'ustensiles remplissent l'espace, et je me laisse happer par cette énergie familière.

Je regarde ma montre pour la énième fois, assis à une petite table au fond de la salle. 11h30. Bientôt l'heure du coup de feu. Les clients vont affluer, affamés, exigeants. J'aime ce moment, ce chaos maîtrisé. Ici, tout suit un rythme, où chaque tâche a un but précis, une finalité claire.

Je me lève, prêt à briefer l'équipe avant le rush. Mais à peine ai-je fait quelques pas que mon téléphone vibre dans ma poche. Un message. Je le sors, déjà tendu, sachant pertinemment qui c'est.

De Jenifer à Arnaud :

11:32

« Gianni ne va pas bien. Je n'y arrive plus. On a besoin de toi. »

Jenifer est désemparée, épuisée, comme d'habitude. Je devrais probablement rentrer. Je le sais. Mais à quoi bon ? À chaque fois que je suis là, ça ne fait aucune différence. Parfois, j'ai même l'impression que ma présence empire les choses. Gianni ne me regarde jamais, il ne répond pas, ne réagit même pas. Il se perd dans ses gestes répétitifs, dans ses murmures, et moi, je me tiens là, impuissant. Je n'ai jamais été doué pour ça, pour comprendre ce dont il a besoin.

Je laisse le téléphone retomber sur la table et m'appuie contre le mur, les bras croisés. Le restaurant commence à s'animer, les serveurs se préparent, la cuisine s'agite. Mais je suis ailleurs, pris dans ce tourbillon d'émotions contradictoires. Une part de moi se sent coupable. Une autre est juste... fatiguée. Fatiguée de tout ça. Fatiguée de ne jamais savoir quoi faire, quoi dire. Fatiguée de cette vie qui m'échappe. Je n'ai jamais demandé à être le père d'un enfant... spécial. Je n'ai jamais été préparé à ça. Et Jenifer non plus. Mais elle, elle a plongé dans tout ça avec une dévotion que je ne comprends pas toujours. Elle est devenue experte en autisme, en thérapies comportementales, en nutrition adaptée... Elle lit, elle s'informe, elle parle à des spécialistes. Moi, je me tiens à l'écart. C'est trop pour moi. Trop de termes techniques, trop d'espoirs déçus. Trop d'échecs.

L'écho du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant