Chapitre 9 - Lucca

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Les journées s'étiraient et se ressemblaient. Gianni était toujours là, tranquille dans son coin, perdu dans son propre monde, pendant que le reste de la maison tournait autour de lui. Maman était fatiguée. Ça se voyait à ses yeux. Ses traits tirés. Elle passait son temps à s'occuper de lui, et moi, je n'étais plus là que pour le décor. Ça m'énerve.

Je ne l'ai jamais dit à personne, mais parfois, j'ai l'impression d'avoir perdu ma mère. Depuis que Gianni est né, c'est comme si elle ne voyait plus que lui. Plus de moments à deux, plus de discussions. Juste elle et ses inquiétudes pour lui. Arnaud n'est pas mieux. Toujours absorbé par son boulot, ou alors par Gianni lui-même, oubliant presque que moi, j'existe aussi dans cette maison et encore je ne suis pas son fils. Je ne sais même pas ce que Nina ressent envers lui.

Et maintenant, ils veulent l'envoyer dans un centre. Un centre médico-éducatif, comme ils disent. Franchement, je sais que Gianni est... différent, mais je ne suis pas sûr que c'est la bonne solution. Le balancer dans un endroit où il sera entouré d'étrangers ? Loin de nous ? Ça ne me paraît pas juste.

Mais qui m'écouterait, moi ? Je suis juste Lucca, le grand frère silencieux qui passe son temps à se renfermer. Pourtant, il faut bien que quelqu'un leur dise, non ?

Je traîne dans ma chambre, comme d'habitude. J'entends Nina parler avec Arnaud et maman dans le salon. Ça fait des jours qu'elle essaie de leur faire comprendre que Gianni ne doit pas partir, mais ils ne l'écoutent pas vraiment. Ils disent toujours les mêmes trucs : "C'est pour son bien", "On n'a pas le choix".

Je sors de ma chambre, juste pour voir. Nina parle avec eux. Sa voix est plus calme que d'habitude, mais je vois bien qu'elle commence à perdre patience. Moi, je m'appuie contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, sans rien dire. Maman lève les yeux vers moi, et je sens ce pincement au cœur habituel. Elle semble surprise, presque soulagée de me voir, mais je ne bouge pas.

C'est comme si je ne savais plus comment lui parler.

Nina me regarde aussi, espérant probablement que je dise quelque chose. Franchement, je ne sais même pas si j'ai envie de parler. Mais Gianni est là, dans son coin, assis sur le tapis avec ses jouets. Il ne fait pas attention à nous, comme toujours. Ses petites mains manipulent ses voitures et ses blocs de construction, concentré dans sa bulle. Il est si loin, et en même temps, si proche. Ça me serre le cœur.

Je soupire et me décide finalement à entrer dans le salon.

- Gianni va vraiment partir ? demandai-je brusquement.

Tout le monde se tourne vers moi. Arnaud, Maman, Nina. Maman plisse les yeux, comme si elle ne s'attendait pas à ce que je dise quelque chose. C'est peut-être la première fois depuis longtemps que je prends la parole dans une discussion de ce genre.

- Lucca... commence maman.

- Non, je veux savoir, je continue en m'asseyant sur le canapé. Vous allez vraiment l'envoyer là-bas ? Pour combien de temps ? Il reviendra quand ?

Nina hoche la tête à côté de moi, comme pour m'encourager. Elle aussi veut des réponses. Mais on sent que maman et Arnaud n'ont pas de réponse claire à nous donner.

- Lucca, Gianni a besoin d'aide, dit Arnaud. Il sera mieux entouré là-bas, avec des gens qui savent comment s'occuper de lui. On fait ça pour lui.

- Et nous alors ? rétorquai-je, la voix un peu plus forte que je ne l'aurais voulu. Vous avez pensé à ce que ça va faire à Gianni d'être loin de nous ? De toi, maman ? Il s'accroche à toi comme jamais. Et vous voulez le laisser partir ?

Un silence pesant tombe dans la pièce. Maman baisse les yeux, incapable de répondre. Arnaud semble sur le point de dire quelque chose, mais Nina prend la parole à ma place.

- Lucca a raison, dit-elle calmement. Vous pensez vraiment que le mettre dans un centre va arranger les choses ? Gianni n'est pas juste un problème à régler. Il est notre frère, il a besoin de nous.

Je regarde Nina, impressionné par la façon dont elle parvient à exprimer ce que je ressens, mais que je n'arrive pas à dire. Maman finit par lâcher un soupir, et je sais que quelque chose se passe en elle. Elle est fatiguée, et ça se voit.

- On n'en peut plus, les enfants, finit-elle par dire d'une voix brisée. Je n'en peux plus. J'ai tout essayé, mais... j'ai l'impression que quoi que je fasse, ça ne suffit jamais.

Elle parle à voix basse, presque pour elle-même, et ça me frappe. Je n'avais jamais vu maman aussi vulnérable. Peut-être que j'étais trop pris par ma colère pour voir à quel point elle était à bout.

- Mais l'envoyer là-bas... ce n'est pas la solution, dis-je d'une voix plus douce. Tu le sais, au fond de toi.

Maman se tourne vers Arnaud. Il semble chercher ses mots, mais il finit par hocher la tête.

Je reste assis, à regarder mes parents se débattre avec cette décision. Pendant un instant, je m'imagine à la place de Gianni. Seul, dans un endroit qu'il ne connaît pas, loin de sa famille, loin de ses repères. Ça me rend malade. Il ne parle pas, il ne crie pas. Il se contente de rester dans son silence, et je me demande comment il pourrait s'en sortir, sans maman, sans nous.

- Gianni ne parle pas, dis-je soudain. Il ne vous dira jamais qu'il a besoin de vous, mais on le voit bien. Il est toujours à tes côtés, maman. Il sait que tu es là pour lui. Si vous l'envoyez là-bas, qui sera là pour lui ?

Maman me fixe, et je vois des larmes briller dans le coin de ses yeux. Je ne veux pas la faire pleurer, mais c'est la vérité. Arnaud passe une main sur son visage, comme pour effacer la fatigue accumulée.

- Et puis... vous n'avez même pas essayé autre chose, insiste Nina. Il y a sûrement des moyens de l'aider sans l'éloigner de nous.

Maman soupire, les épaules voûtées. Elle semble perdue.

- Je ne sais plus quoi faire, murmure-t-elle. Je ne veux pas faire de mal à Gianni, mais je veux ce qu'il y a de mieux pour lui.

Nina s'approche d'elle et prend doucement sa main.

- Ce qui est le mieux pour lui, c'est d'être avec nous. On peut trouver une autre solution, ensemble, propose-t-elle.

Je reste silencieux, mais je suis entièrement d'accord. Peut-être qu'on ne pourra pas tout résoudre, mais au moins, on ne se séparera pas de lui. Ça compte, non ?

Maman et Arnaud se regardent un long moment, comme s'ils cherchaient une réponse dans le regard de l'autre. Puis, finalement, Maman se tourne vers nous, l'air fatigué mais résolu.

- D'accord, dit-elle doucement. On va essayer de trouver une autre solution... mais je ne vous promets rien.

Je retiens un soupir de soulagement. C'est loin d'être fini, mais c'est un début. Gianni doit rester avec nous, et c'est tout ce qui compte.

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Voici le neuvième chapitre avec un peu de retard... Mais je m'en excuse ! Vous aurez le prochain demain.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez dans les commentaires ! À demain !

:)

L'écho du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant