Chapitre 16

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Le tissu sombre traine au sol tandis que je m'avance dans l'obscurité à travers les rangées de sièges en velours rouge. J'accepte la main de mon compagnon qui me guide jusqu'à notre place, suivie de mes beaux-parents qui nous ont offert ces billets. Ma robe achetée pour l'occasion est sublime, un sombre bleu avec de rares diamants sur le buste. La fluidité du tissu accompagnée de sa couleur océanique fait penser au flot de vagues.

Je m'installe sur un des sièges installés dans les tribunes donnant la meilleure vie sur la scène. L'opéra m'a toujours plu contre toute attente, particulièrement les scènes tragiques. Et aujourd'hui, c'est le plus grand classique qu'il existe en temps que tragédie romantique. À côté de moi, un Brandon plutôt silencieux qui dialogue de temps à autres avec son paternel se trouvant non loin de nous.

La foule s'immisce dans le reste de la salle, sous nous, les plus chanceux au premier rang. En-dessous se distingue ensuite seulement une masse sombre vêtue d'habits chic mais les femmes ne portent pas de longues robes de créateurs. Je les envie. Elle a beau être sublime, ma tenue ainsi que mes talons hauts n'ont rien d'agréable. Bien trop serrée en haut, je rêve d'un tee-shirt large ou même d'un simple chemisier. Néanmoins, dans notre millier, il y a des obligations comme celle-ci ou bien celle de faire ce que nos ainés nous demandent, même si c'est marier avec un inconnu. 

Coupant le fil de mes pensées, les rideaux semblent frémir d'impatience alors que les lumières s'éteignent et que des bruits se font entendre de l'autre côté, encore caché pour nos yeux impatients. Brandon guette comme moi le retrait des rideaux pour que le spectacle commence. Je l'ignore totalement, malgré ses excuses accompagnées d'un bouquet de roses lorsqu'il est rentré du travail. Accepter de venir à l'opéra avec ses parents et lui ne signifie pas que tout est oublié, je ne pouvais seulement pas louper Roméo et Juliette repris de façon moderne et dont mon entourage m'en a dit un bien fou.

Enfin, les rideaux laissent place aux acteurs et des murmures excités se font entendre un court instant avant qu'un profond silence se niche dans l'immense salle. Les premières notes se mettent à résonner, une jeune femme se tient au centre avec une fragilité attachante parfaite pour son rôle. Les paroles s'enchainent, se succèdent et nous englobent. Les mélodies, les émotions ainsi que les sensations des acteurs viennent nous engloutir dans un monde d'habitude hors de notre porté. J'ai le souffle court, le coeur battant dans ma poitrine en choeur avec celui du personnage principal.
Je ressens chaque émotion, les vis avec chacun et c'est dans ces moments que j'aime tellement l'opéra. La capacité aux acteurs de faire ressentir ces sensations intenses à d'autres personnes, ces sensations qui vous font frémir toute entière.

Les dernières notes sonnent dans une mélodie grave, assourdissante, qui m'achève. Une larme, une seule, se faufile et parvient à glisser le long de ma joue, brillant dans l'obscurité de la salle.
Les acteurs s'avancent alors que les lumières s'allument à nouveau, brisant tout le rêve, puis les personnages s'inclinent en parfaite symbiose alors qu'une ovation spectaculaire vient les remercier d'une telle prestation. Émue et prise de frénésie, je me lève comme la plupart et applaudie chaudement en souriant après avoir vécue ces quelques heures hors du temps.

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Après le spectacle, nous nous sommes dirigés gaiment en direction d'un grand restaurant où mes beaux parents ont réservé. Durant le trajet, j'ai commenté avec Christine le rôle des acteurs, la mise en scène ainsi que le décor avec une grande fascination une fois les avoir remercié, Charles et elle, d'un si beau cadeau.

- Je ne savais pas que tu aimais à ce point l'opéra, m'a dit Brandon dans l'oreille tandis que nous sortions du bâtiment.

Je l'ai regardé en souriant, impossible de faire la tête à cet instant. Cela semble ne pas lui déplaire et il encercle mes épaules de son bras sans que je ne rechigne vraiment.

Le serveur s'empresse de venir nous guider jusqu'à notre table sur la terrasse. Nous nous installons rapidement et commandons nos boissons avant qu'il ne s'en aille pour s'occuper d'autres tables. Un silence prend place quelques instants avant que Charles, à ma gauche, ne prenne la parole.

- Alors Maia, te plais-tu à Los Angeles ?

Outch. Je me crispe. Aussitôt, je redescends sur terre et mon corps s'enfonce légèrement dans le siège, souhaitant tout à coup disparaitre sous terre. Le mensonge n'est pas une chose que j'apprécie particulièrement en règle générale mais j'ai appris à le manier facilement malgré moi. Après un lourd regard destiné à Brandon, je me tourne à nouveau vers Charles et déclare :

- Doucement, je m'y fais. On m'aide à m'y plaire.

Je ne cite en aucun cas Brandon car il n'y est pour rien. Le rendez-vous parfait qu'il m'a fait vivre reste gravé en ma mémoire, mais, même si je le souhaite par-dessus tout, cela ne change pas la manière dont il me voit, me traite et le temps qu'il passe à mes côtés. Qu'est-ce que j'aimerais que mon futur mari ressemble chaque jour à cet homme qui m'a invité à diner ! Malheureusement, l'homme parfait n'existe pas. Il existe toujours un revers à la médaille, un lapin sous le chapeau.

Le sujet dévie bien vite sur Brandon et ses affaires. Comparé à ses parents, je ne m'intéresse guère à ses nombreux bénéfices grâce à ses quelques investissements. Qu'il soit riche ou pauvre, il demeure Brandon. Je l'observe du coin de l'oeil, lui et son imposante musculature à moitié cachée par son costard aux milliers de dollars. Ses cheveux bruns sont comme d'habitude plaqués en arrière, ses yeux bleus sont magnifiques, il faut le dire, et des fossettes apparaissent lorsqu'il rit à une anecdote de son père. Je fais automatiquement de même pour faire bonne figure avant de reposer mon regard sur ses lèvres pleines, rosées et qui semblent douces comme aucunes autres.

Je secoue légèrement la tête afin de me remettre les idées en place. Je le hais, lui et sa manière de me parler dès que quelque chose n'est pas comme il le désire. Je le hais, lui et son absence constante. Je le hais, lui et son frère qui me pourrie la vie ... Pourtant, je me rappelle malgré moi de notre agréable soirée tout en me disant que, avec des efforts, cela pourrait être plus courant. Peut-être qu'en l'acceptant comme il est, et qu'il m'accepte à son tour, on pourrait être heureux ensemble.
Son regard se tourne vers moi. Nos yeux se croisent. Il me sourie. Je lui sourie à mon tour. Et je sais alors que cela est possible. Il ne doit pas être totalement affreux comme dit son frère, j'ai envie de croire que cet homme peut être celui qu'il me faut ...

Le dessert vient rapidement et j'ai essayé de m'imposer dans la discussion. Brandon m'a même aidé et pendant un temps nous avons parlé littérature ce qui me mit tout de suite plus à l'aise. Alors qu'un serveur apporte ma gourmandise au chocolat, Brandon se lève soudainement de sa chaise et je le regarde, d'un air hébété.
Je comprends lorsqu'il s'agenouille devant moi, le sourire aux lèvres tout comme ses parents.

- Maia Davis, même si notre histoire a commencé de façon un peu hors du commun, je dois t'avouer que je commence sérieusement à t'apprécier et je voulais faire ça dans les règles de l'art. Je sais que je ne suis pas parfait, mais Maia Davis, accepterais-tu de m'épouser quand même ?

Je glousse. Non pas à cause de l'émotion, ou bien un peu peut-être, mais surtout à cause de la stupidité de la situation. On me le propose, me le demande, or je n'ai pas le choix. C'est comme demander à un agneau si il veut se faire dévorer tout en le poussant dans tout les cas dans l'abattoir. Alors je pouffe doucement, une main devant la bouche pour cacher ma frustration ainsi que ma nervosité qui me font agir ainsi. Les regards de toute la salle sont posés sur moi en attendant ma réponse. Mon coeur s'accélère dans ma poitrine tandis que je cherche de l'aide du regard. Comme j'aimerais qu'il soit là, maintenant. Je ne sais pas pourquoi je pense à lui, sûrement parce que c'est le seul qui n'aime pas Brandon. Si on ne compte pas son frère, tout le monde aime Brandon ... Et moi ? Je l'aime ?
Il attend ma réponse lui aussi, toujours à genoux, en tendant un boite bleu entrouverte où l'on voit une bague magnifique avec un diamant qui peut faire jalouser n'importe quelle femme. Une bague qui semble être porteuse de nombreuses promesses.
Il semble sincère, alors, je cède.

- Oui Brandon, j'accepte.

FrénésieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant