8. Cadeau empoisonné

163 39 13
                                    

"Pour que tu puisses apprécier un peu plus le moment, je t'ai ramené des cadeaux", annonça Peter en sortant délicatement les précieux objets récupérés plus tôt dans le métro. Dans le creux de ses mains, l'un pesait lourd et était froid, l'autre était léger et tiède. Il les dirigea à l'aveuglette vers Théophile qui n'en revenait pas. Quand il buvait de l'alcool, c'était toujours de la bière, et encore, il évitait pour économiser leurs ressources. Quand il grignotait des gâteaux, il choisissait ses aliments plus par rapport à leur valeur nutritionnelle et au prix qu'au goût. Il ne savait que faire de cette bouteille de champagne Larmandier-Bernier et de cet énorme macaron Ladurée.


— Comment t'es-tu procuré ces produits ? Ça coûte une fortune !


— On s'en fiche, sers-nous donc un verre, il y a des flûtes au fond du sac. Profite de l'instant !


— Ca me gêne que tu doives porter un bandeau, je...


— Oh crois-moi, ça me gênerait de l'enlever, plaisanta Peter. J'ai les fines bulles dans le gosier et les framboises sous le palais, j'en ai pour plusieurs heures à savourer ces délices !

Ce qui se passa réellement. La dernière fois que les deux amis avaient croqué dans des denrées de qualité remontait à six ans auparavant. Se contentant du strict minimum pour survivre, leurs papilles gustatives s'étaient accoutumées au fade et au goût du chimique. L'entrée des morceaux de macaron framboise dans leur bouche réveilla des souvenirs enfouis depuis des lustres. Théophile, cet éternel monsieur-propre, réussit à se baver dessus tant son corps recevait du plaisir. C'était un moment inouï que leur cerveau garderait en mémoire même après une violente amnésie. L'alcool leur faisait tourner la tête, mais pas leurs boyaux ; ils n'allaient pas se réveiller le lendemain avec un mal de crâne affreux. Mêlé au goût des mets, Théo profitait de son show privé. Cette surprise fit remonter une boule de nostalgie dans sa gorge, ainsi qu'un puissant influx de sang dans son pénis. Ça faisait bien longtemps...


— C'est fini ? demanda Peter lors d'un long moment silencieux et paisible.


— Oui, répondit Théophile, absent.


Alors le jeune homme retira son bandeau pour recouvrer la vue, puis la perdit aussitôt. "Salop ! Ce n'est pas fini du tout !" se plaignit-il fou de rage. "Ah, je pensais que tu parlais de ma flûte de champagne, pardonne-moi ! s'excusa le vieux amusé par la situation. Peter avait l'esprit ouvert, mais un sexe d'homme qui empale les fesses d'un autre garçon, ce n'était pas le genre d'image qu'il aimait garder à l'esprit. Malheureusement, cette vision resterait aussi gravée dans sa tête, même après une violente amnésie. Ce couple homosexuel était connu dans Paris pour coucher à la nuit tombée, l'ampoule allumé et les rideaux écartés. Il y avait de ça quelques années, des gays s'attroupaient à leurs fenêtres au rez-de-chaussée d'un appartement rue Rivoli. Mais les journalistes en firent une publicité trop importante, si bien que les One Direction n'arrivaient plus à remplir la salle de l'AccorHôtels Arena quand ils venaient à Paris. Le couple, matraqué par les journalistes, avait finit par se réfugier dans ce studio parisien, à l'abri des regards, entretenant néanmoins leurs coutumes d'amoureux. Seuls quelques fans dévoués avaient été en mesure de retrouver les stars. Dans la rue, Peter savait obtenir les informations les plus croustillantes qui soient.


— Théo, dis-moi franchement, tout ceci ne te manque pas ? reprit Peter plus sérieux que jamais, le visage de nouveau protégé des visions indésirables.


— Qu'est-ce qui ne me manque pas ? demanda Théophile.


— Les bulles, les framboises, le sexe...


— Il y a des bulles dans le mousseux, davantage d'ailleurs ! répondit Théophile qui commençait à voir clair dans le jeu de son ami.


Peter sentit Théo sur la défensive, comme d'habitude. Alors il entreprit d'aborder le sujet différemment. Mais au moment où il allait prendre la parole, un "boom" répétitif résonna et Peter imagina le couple légendaire du bâtiment d'en face se faire violence. Il s'empressa de chasser ces pensées, et se concentra sur la discussion. Pourvu que son ami en fasse de même !

— Tu te souviens du jour où tu m'as sauvé la vie ? Tu es sorti de nul part, et tu as prêté attention à moi, tu m'as pris sous ton aile. Ce soir-là, tu avais un porte-monnaie rempli de billets, le lendemain le vent se baladait dans ses compartiments vides. Tu ne m'as jamais expliqué ce qui s'était passé. En six ans, tu ne m'as jamais avoué la vérité. Je ne te redemande pas d'où tu viens ni qui tu es vraiment, je comprends que tu veuilles garder tes secrets. Mais si je suis persuadé d'une chose te concernant, c'est que tu as vécu dans la richesse et l'abondance. Peter respira un grand coup avant de poser la question fatidique, celle qui l'avait poussé à organiser cette virée nocturne au clair de Lune. Il reprit solennellement: J'ai peut-être trouvé la solution pour te rendre riche de nouveau. Serais-tu prêt à me suivre dans une folle aventure ?


Théophile avala la dernière gorgée de Larmandier-Bernier qui brillait au fond de sa flûte en savourant ses arômes. Il adorait ce goût luxueux, il imaginait le travail minutieux de ses fabricants. Il se rappela également de sa vie passée, des quelques amants avec qui il avait partagé de divins moments. Pendant ces longues secondes, Peter serrait les dents en attendant sa réponse. Ça comptait tellement ! Puis soudain, il entendit un franc "OUI !" et se réjouit aussitôt. Trop tôt. Ce n'était pas son ami qui avait crié. Sa réponse à lui, c'était un "NON" catégorique.

e qui �}KA�6

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant