Rentré chez lui, tourments de la nuit: roulades de droite à gauche, puis de gauche à droite pour trouver un espace plus frais. Bouteilles d'eau goulotées toutes les cinq minutes à cause d'une gorge sèche que l'on accuse. Les conseils qu'on à se donne à soi-même pour enfin décoller au pays des rêves... Peter avait tout tenté pour s'endormir, seul dans son lit King size. Bouffé par la culpabilité ? Non, c'était délicieux. Cette petite avait tous les dons que pouvait espérer un homme. D'ailleurs, les phrases de cette garce, celles qu'elle lui avait susurrées à l'oreille pendant l'acte sexuel, se répétaient en boucle dans sa tête. Allez dormir avec un disque pornographique rayé, qui n'arrête pas de jouer sa musique ! C'était infernal. Son réveil affichait 2:33 ; il s'était mis au lit vers minuit. La faute au chantage orchestré par la gamine, après cris et rictus... "Comment ai-je pu me faire berner aussi facilement ? Par une petite connasse ! Le sexe, c'est vraiment de la daube", se dit-il, au pied du mur, dressé par ses nouvelles emmerdes. "Elle m'a laissé deux choix : Soit je la baise une fois par semaine au risque que la vérité éclate au grand jour, soit je la laisse dévoiler notre petite sauterie au bord de l'eau. En gros, ou je perds ma liberté, ou je perds Lisa. Dans les deux cas, je perds..." calcula-t-il en cherchant désespérément une solution.
Tout à coup, la porte d'entrée grinça. Aucune clé n'avait cliqueté dans la serrure. Il réalisa qu'il avait oublié de verrouiller l'appartement. "La mineure !" s'inquiéta-t-il en sortant de dessous les draps. Ça ne pouvait être qu'elle ! Des talons tapaient sur le carrelage ; Lisa n'avait pas l'ombre d'une paire de talons dans sa penderie parce qu'elle détestait ces chaussures. Il se munit de sa batte de baseball – il avait touché un peu à tous les sports avant de choisir la natation – puis se prépara à toutes éventualités. "Si elle est nue dans l'entrée, qu'est-ce que je fais ? Bah je la vire aussi !" conclut-il simplement. Lisa allait bientôt rentrer. Il ne voulait pas assommer la petite, mais si les menaces ne suffisaient pas, il serait bien obligé. Peter déambula dans le salon.
— Gamine, je te jure que... Qu... Qui êtes-vous ? Que faites-vous chez moi mademoiselle ? interrogea Peter, éberlué.
Peter avait parié sur la gamine et il avait perdu. Il n'aurait pas pu gagner, il ne connaissait même pas cette personne ! Qui était cette dame chamboulée qui semblait avoir pleuré pendant des heures ? Il ne pleuvait pas dehors, pourtant son état suscitait le contraire : son mascara avait coulé jusqu'à son menton, et ses cheveux semblaient mener une révolution nationale. Elle était sale, mais n'avait rien d'une pauvre ; son sac à main valait facilement toutes les fringues qu'il avait portées dans la journée, voire davantage. Elle avait le physique d'une gourmande qui vit dans la chambre froide d'un restaurant. Et elle sentait bon. Son odeur n'avait rien de factice, Peter respira son parfum naturel à travers la pièce. Elle ne lui paraissait pas hostile, alors il jeta sa batte sur le canapé et attendit ses explications.
— Je m'appelle Mathilde, mon mari vous a peut-être parlé de moi ?
— Votre mari ?
— Eddy. Vous êtes son meilleur ami alors je m'attendais à le voir chez vous. Voyez- vous, il a disparu depuis des semaines, dit-elle, des larmes de tristesse ruisselant sur les joues.
Le garçon, mal à l'aise dans son pyjama Gozilla, ne sut que répondre à ces nouvelles aussi surprenantes qu'inattendues. Il l'invita à retirer son manteau et à s'installer autour de la petite table, soit sur un pouf, soit sur une chaise en bois. Elle s'écroula dans le siège le plus moelleux sans la moindre hésitation. Peter lui servit un verre de jus d'orange parce qu'il n'avait pas envie de boire de vin à cette heure du matin. Il se servit également des vitamines, puis s'installa en face d'elle.
— Bon, par où commencer... Vous avez donc dit qu'Eddy et moi sommes amis ? hésita Peter, gêné de ne pas être au courant.
— Oui. Mon mari me le cachait au début à cause de... à cause de vos origines, commença maladroitement Mathilde. Puis une fois la pilule avalée, il s'est lâché à tous les repas. Il ne manquait pas une occasion de me raconter vos exploits au boulot, je ne l'avais jamais vu aussi épanoui. Je crois que c'est en partie grâce à vous Peter, ça faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas fait de réel ami. Et puis son bonheur a fini par déteindre sur moi, je me suis rappelée à quel point j'aimais mon mari.Peter ne comprenait pas. A aucun moment au cours de leur collaboration, il ne s'était posé la question d'une quelconque amitié. Il avait passé son temps à essayer de l'évincer pour prendre sa place, pour prendre son salaire. Mathilde n'avait pas l'air au courant de cet épisode, alors il continua de l'écouter avec la plus grande attention.
— ... Je crois qu'il avait des problèmes d'argent aussi. J'ai peur que ce soit la raison de son départ.
— Ça m'étonnerait énormément ! J'ai une idée de combien il gagnait, vous devez avoir de quoi vivre sereinement, intervint Peter, qui se mordit les lèvres en évoquant le salaire d'Eddy. Il n'était pas censé être autant au courant de la rémunération du poste.— C'est aussi ce que je pensais. Mais je suis tombée sur le relevé de compte du mois dernier. Je ne m'en étais pas doutée, sinon j'aurais communiqué avec lui ! Je l'aurais résonné ! Si seulement il m'avait fait un peu plus confiance ! regretta Mathilde qui repartit dans une cascade de sanglot.
— Que voulez-vous dire ?
— Dix mille euros sortaient de notre cagnotte tous les mois. Au début j'ai accusé le vol, vu que toutes nos économies partaient vers le compte de quelqu'un que je ne connaissais pas. Mais la banque m'a assurée que la transaction était consentie et légale. Le type au téléphone n'a pas accepté de me révéler son identité. Mais Eddy doit avoir des problèmes. Oh ! J'aurais dû être là pour lui, quelle idiote ! se plaignit-elle encore une fois, en se mouchant dans son t-shirt. Peter lui tendit immédiatement un mouchoir.
Mathilde fit tellement de bruit en extrayant la morve de ses narines, qu'ils n'entendirent pas Lisa rentrer dans la pièce. Aimable en toutes circonstances, la jolie rousse sourit courtoisement à la personne qui se trouvait chez elle à trois heures du matin. Tout de même, elle ne put cacher une expression d'agacement, surtout quand l'autre la dévisagea comme si un démon la possédait. Les yeux d'Mathilde étaient devenus globuleux, elle semblait lorgner quelque chose sur Lisa qui lui déplaisait particulièrement.
— Ce sac madame, où l'avez-vous acheté ?
— Oh ça ? Je ne me rappelle plus, expliqua Lisa, rassurée que l'attitude étrange de cette femme ne se justifie que par une passion pour le shopping.
— Y a-t-il une couture déchirée à l'intérieur, dans le compartiment gauche ?
— Je vous demande pardon ? demanda Lisa, étonnée par son degré de jalousie. Bon écoutez, il est trois heures du matin et je suis fatiguée. Allez chez vous s'il vous plaît.
— Bien sûr, répondit dignement la femme d'Eddy. Mais en partant, elle arracha violemment le sac des mains de Lisa et vérifia en vitesse la couture. "C'ETAIT TOI ! C'ETAIT TOI LE VOLEUR !" accusa-t-elle en dévisageant Peter. Elle était effarée par sa découverte. Son regard perçant traversa la pièce et baffa sa cible bouche-bée devant cet élan de colère inexplicable. La bourgeoise s'apprêtait à réellement le gifler, mais elle pensa à Eddy. "Il n'aurait pas aimé que je m'en prenne à son ami, même après un crime contre maroquinerie." Elle s'en alla.
— Cette histoire de couture est vraiment bizarre, fit remarquer Lisa, la tête plongée dans son sac. Ecoute Peter, je vais te laisser tranquille avec ton passé. Non pas que je cautionne le vol, mais j'imagine que la faim quand on vit dans la rue, pousse à agir comme un animal, déclara-t-elle un peu perturbée par la scène. Peter détesta la comparaison. Avant que je ne me couche, réponds juste sincèrement à cette question : as-tu couché avec cette détraquée ?
— Non, absolument pas ! C'est la femme d'Eddy, se défendit Peter fou d'inquiétude.
— Raison de plus pour la sauter, répondit-elle, sur le ton de l'humour cette fois-ci. Bonne nuit mon chéri. Et elle l'embrassa sur le front.
Peter resta sur le canapé un instant, afin de digérer toutes les péripéties des dernières vingt-quatre heures. Il fit le point : "Pour commencer, mes amis me manquent déjà. Secondement, Théophile m'a dupé pendant six ans. Ensuite il y a cette gamine qui me menace de révéler l'incident de la piscine si je ne la baise pas tous les sept jours. Et maintenant, cette tarée qui m'accuse d'un vol insensé. Ça fait beaucoup pour vingt-quatre petites heures. Je crois que monsieur Lafargue avait raison, il est temps de prendre des vacances loin, très loin d'ici...".
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Tomber de bas ( Terminė)
AventurePeter et Théophile ont touché le fond. Le genre de trou ténébreux qu'on ne remonte pas avec une échelle, mais bien en utilisant son cerveau. Un brin de courage peut aider, mais est-ce suffisant ? Il va falloir se salir... Terminé, pas de modifs en v...