22. Peu perspicace

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            — Réveille-toi, prononça une voix.

Eddy ne bougea pas. Il avait l'impression de vivre un cauchemar en boucle, s'attendait à revoir son papier peint. Il voulut ouvrir les yeux mais un bandeau l'en empêcha. Il gigota mais des cordes le rendaient impuissant. Eddy tenta de se lever mais ses chevilles étaient liées à deux pieds de chaise ; il bascula par terre, tête la première. Quelle douleur ! Il n'aurait pas dû bouger. Quelqu'un le prit par les épaules et le repositionna, son sang lui coulait dans la bouche. Quand sa langue sortit d'entre ses lèvres, telle un ver de terre de son trou, elle rencontra un bout de tissu. Un bâillon apparemment. Le kidnappeur était un débutant, le nœud ne le serait pas, il se sentait capable d'articuler. Puis sans s'y attendre, il reçut un seau rempli de liquide sur le crâne. C'était glacé, Eddy se rendit compte qu'on lui avait retiré tous ses vêtements. Il frissonna comme un chien. L'eau, si c'en était, avait un goût détestable, il recracha tout ce qui se mélangea à sa salive.


— J'étais réveillé, pas besoin de me vider un seau d'eau dessus ! s'indigna-t-il. Qui êtes- vous, que me voulez-vous ?!


— Qui te dit que c'était de l'eau ? répondit la voix. Le ravisseur modifiait grossièrement son timbre dans les graves. Eddy en fut rassuré: quand on enlève quelqu'un et qu'on se camoufle, c'est qu'on compte le relâcher.

— Avec un goût comme ça, ce n'est pas de l'eau.

— Le robinet fuit, j'ai dû puiser dans les chiottes. Et le seau d'eau, c'était pour le plaisir. Et ce n'est qu'un début... Tout à coup, Eddy sentit un froid algide tourner en rond autour de ses tétons.


— Qu'est-ce que vous faites ? Ne me touchez pas, relâchez-moi !


Son bâillon fut tiré brutalement en arrière, plus moyen de négocier. Seuls des sons craintifs passaient à travers le tissu désormais. Le froid s'amplifia et se généralisa à la surface de ses pectoraux. Sa cage-thoracique se contractait, la panique gagnait le gaillard. Ses poils s'hérissèrent, il avait si froid... le chauffage dans la pièce ne devait pas exister. "Quelle est le but de cette torture ? On ne me pose même pas de questions !" s'inquiéta-t-il. Soudain, une nouvelle substance le mouilla. Cette fois-ci, le liquide glissa lentement, sa texture était épaisse comme du blanc d'œuf. Eddy imagina de l'essence dégouliner sur sa peau et le malade mental avec une allumette entre les doigts. "Mmmmm !" geignit-il, incapable d'hurler. A présent, des mains touchaient son corps. On ne le pinçait pas, on s'assurait juste qu'il soit bien recouvert. Ses cuisses, ses orteils, son visage, rien ne fut épargné. Même son pénis eut le droit à sa dose de substance: les doigts glissèrent sur sa verge qui fut recouverte de liquide visqueux. Eddy suppliait d'arrêter. Puis soudainement le rideau tomba. Ses pupilles furent transpercées par les rayons de lumière ; il pouvait de nouveau voir. Le kidnappeur le jugeait d'un air sévère. De sa voix véritable, il râla:

— Tu fais vraiment chier, tu ne te détends pas ! Nan mais regarde-moi ce sexe tout mou, je suis censée faire comment moi ?


— Lisa ? Mais à quoi tu joues sombre idiote ?! Détache-moi et rends-moi mes habits ! Ce n'est pas un jeu, je suis gelé ! T'es complètement tarée ma pauvre ! Tu mériterais que j'appelle la police ! gueula Eddy en regardant cette charmante femme aux longs cheveux roux faire tourner deux glaçons entre ses doigts, d'un air sournois.


— T'es pas drôle Eddy. Vraiment pas drôle, soupira la femme. Son visage de gamine ingénue était imblâmable. Elle s'expliqua: Je n'ai plus revu ta bouille d'amour depuis deux semaines et ta folle de femme t'empêche de répondre à mes messages, il fallait bien que je trouve un moyen pour qu'on puisse s'amuser tu ne crois pas ? Elle l'embrassa sur les lèvres, il se débattit en vain.

— La seule folle dans l'histoire c'est toi ! Mathilde n'est au courant de rien, je ne réponds plus VOLONTAIREMENT à tes SMS parce qu'on ne doit plus se voir, c'est terminé entre nous ! Je retrouve une stabilité, ne gâche pas tout ! Et enfile un peignoir !

— Oh non je ne vais rien enfiler du tout. Ou peut-être ce gros manche qui commence à durcir. C'est flatteur mon cœur, se délecta-t-elle en l'attrapant. Regarde comme il glisse bien. Tout ce lubrifiant te plaît ? demanda Lisa dans un souffle érotique. Ça s'appelle "nuru-massage", c'est aphrodisiaque tu verras. Mais Eddy bascula en arrière pour prendre la fuite. Dans sa chute, il cria: "Ma stabilité Lisa ! Respecte-la !"

— Quelle stabilité ? Tu parles de cette promotion que tu viens d'obtenir grâce à ce pauvre garçon de rue ? Tu as été un monstre avec lui tu sais ? accusa la rousse qui reculait vers le lit pour discuter un peu. Elle le laissa moisir sur le parquet, les quatre fers en l'air. Trempé de lubrifiant, il avait l'air d'une grosse larve.

— Tu m'espionnes ? Lisa regarde-moi ! Tu m'espionnes ?! hurla de rage l'asticot saucissonné. Tu dois arrêter de me suivre ou ça va mal finir !

— Nous avons peut-être emprunté les mêmes chemins ces derniers temps, la faute au hasard. Cela dit, tu devrais mieux le traiter ce Peter. Pas par pitié, on s'en fiche de ça. Mais il est créatif, j'ai vu ses dessins. D'ailleurs, deuxième coup du destin, je passe tous les matins devant ce clochard ! C'est marrant non ?


— Non.

— Moi je trouve ça drôle, insista la jeune femme qui jouait à enrouler ses cheveux autour de son auriculaire. Enfin bref, il pourrait te faciliter la vie. Il suffirait que tu lui prêtes ta chambre de bonne à Saint-Germain-des-Prés et que tu lui files quoi ? Trois cent balles par mois ? De mon avis, ce serait la meilleure chose à faire. Et sinon, si je te relève, tu me laisses te chevaucher ?

— Crève en enfer salope !

— Et si je te détache, tu quittes ta femme pour moi ?

— Oublie-moi, je t'en supplie, sors de ma vie !

— Très bien mon amour, tu continues de te voiler la face. Je vais donc partir d'ici, te laisser seul. Tu en as besoin pour penser à nous. Je suis sûre que tu reviendras vers moi en rampant. Allez, à très bientôt mon beau.

En cadeau d'adieu, cette femme à la beauté ravageuse lécha à pleine langue ses yeux, sa bouche, ses narines. La texture gluante qui embaumait son visage ne la dérangea même pas. Le bâillon, elle le lui remit, bien serré. Lisa quitta la pièce en chantonnant, sa nudité fit pleurer un enfant dans le couloir. Tarée. 

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant