36. Retrouvailles

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Peter attendait sa valise, assis sur un chariot en métal. L'air parisien l'avait ramolli, ses cordes vocales s'étaient mises en grève. Tout le grisait. A commencer par l'impatience des voyageurs agglutinés contre le tapis roulant. Les valises n'avaient même pas entamé leur défilé... Quand la première foula le podium, tous les regards se posèrent sur elle, comme un premier numéro de loto. La gagnante la souleva fièrement et se tira de ce sas à stress. Les passagers s'en allèrent les uns après les autres et quand ce fut au tour du petit garçon de tirer son sac à roulettes, Peter se leva et lui fit un signe respectueux de la tête. Il espérait que son charabia sur les raisins était assimilé. Mais évidemment que non, le jeunot dans le meilleur des cas, ne mangera plus ses grappes.
Il ne resta plus qu'un bagage. Le sac en toile avait déjà fait plusieurs tours de rallye. Peter estima qu'il était temps de le récupérer. Il était temps de rentrer. Quand il sortit de l'aéroport, il annonça la gare saint Lazare au chauffeur du taxi. Celui-ci semblait bien bavard, il lui fit la conversation :


— Vous allez faire quoi à Saint-Lazare monsieur, si ce n'est pas indiscret ?


— Rejoindre de la famille, répondit Peter.

— Ah il est génial ce quartier, tu as bien de la chance mon ami ! Les appartements sont supers classes ! Ta famille, elle a un appartement dans quelle rue ? Je connais bien Saint Lazare moi, je fais un détour et je te dépose devant ta porte il n'y a pas de soucis ! proposa le chauffeur qui avait cette façon particulière de parler qu'ont les marocains de souche.

— La gare c'est parfait merci. Et non, ma famille n'a pas d'appartement à Paris, s'amusa Peter.


— Comment ça il n'y a pas d'appartement ? Ne me la fais pas à moi, un quatre murs à Paris c'est un appartement, ce n'est pas une maison ! Où c'est que vous vivez ?


— On a un mur juste en face de la gare. Très confortable quand tu tasses bien ton coussin. Les trois autres murs, on n'en a pas besoin, on se sentirait trop cloisonnés. Bon des fois ça caille, mais hormis ce détail c'est la belle vie.


— Tu es un SDF ? Tu as de quoi payer au moins ? s'inquiéta le conducteur, caressant la pédale de frein de sa semelle au cas où le voyageur répondrait non.


— Vous serez ma dernière course, à l'avenir j'utiliserai mes jambes, annonça Peter en vidant son porte-monnaie sur ses genoux. Il recueillit assez d'espèces pour que la voiture continue de rouler jusqu'à bon port.


— J'n'ai rien contre les clochards, je les aime bien même. Mais ne fous pas de la pisse sur les sièges et garde tes poux dans tes cheveux, demanda le marocain, un œil dans le rétroviseur pour contrôler son cuir. C'est quoi ton histoire à toi ?

Peter trouvait ce type sympathique, il lui expliqua tout, de sa tentative de suicide à la lettre de Lisa, en passant par ses meilleurs souvenirs avec la petite bande qu'il s'apprêtait à rejoindre. Le chauffeur buvait ses paroles, il se concentrait davantage sur l'histoire que sur la route. Il faillit percuter un camion d'ordures. Une fois, un piéton traversa n'importe où et il en oublia de klaxonner. Il se retourna carrément vers Peter quand il lui expliqua comment Jena avait fini ; le taxi roulait alors sur l'autoroute. Dès lors, Peter resta factuel et évita de transmettre son émotion, il tenait à revoir ses amis en un seul morceau. Sa théorie du raisin était l'histoire parfaite pour bassiner Soufiane. Et en effet il ne se retourna plus, mais il avait écouté son point de vue jusqu'au bout :


— Je ne suis pas sûr d'avoir pigé le truc du raisin là... En tout cas si je peux te donner un conseil, ne merde plus avec tes amis. L'amitié c'est ce qu'il y a de plus précieux dans ce monde, ce n'est pas les femmes. Les femmes ça part, ça t'abandonne pour un autre, tu souffres tout le temps avec les femmes. Mais tes amis là, vu ce qu'ils ont fait pour toi, ils te pardonneront. Ne craque pas pour le confort, je crois que tu as raison, ça rend mauvais. Tu ne pourrais pas imaginer le nombre de feux rouges que j'ai grillés pour faire plus de courses par jour, confia-t-il, soucieux. J'aime trop mon radiateur pour vous rejoindre, mais si je peux signer pour juillet août, j'y réfléchirai ! Tu as dit beaucoup de vérités, j'aurais aimé être un autre homme, admit-il. On arrive mon ami, je te souhaite du courage pour la suite !

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant