34. Le yacht

79 18 10
                                    

Il fallait le reconnaître, ce champagne était raffiné. Tous trois à leur table trempaient leurs lèvres dans leur coupe sans faire de bruit. Le moment était cérémonieux. Même Paul semblait ému après avoir avalé deux petites gorgées. Peter faisait couler lentement l'alcool le long de son œsophage, il essaya de se concentrer pour faire remonter une gorgée dans sa bouche, trop vite engloutie. Il retardait au maximum le moment où il rouvrirait les yeux en reposant son verre, où son regard croiserait celui de Lisa. Le budget des vacances était fumé. Ils pouvaient déjà plier bagages à leur retour au Lush. Si ce n'était que le budget vacance... Inquiet pour leur situation, Peter décida d'en avoir le cœur net: 

— Ne bougez pas, je vais demander au serveur si on peut avoir des glaçons plus frais.

Il chopa un de ces types en costumes qui attendait comme un toutou, qu'on lui donne un ordre.

— You. The price for champagne Klug 1928, demanda Peter dans un anglais approximatif. Son accent ressemblait plus à du russe qu'à autre chose, il eut du mal à se faire comprendre.

— Sorry? Do you desire another bottle?

— No, fuck you sir. The price, dit Peter qui s'étranglait d'impatience. Il espérait ne pas avoir à payer plus de 'huit mille euros.

Malheureusement, les chiffres prononcés par le serveur fusèrent, il n'eut pas le temps de comprendre. Il le fit répéter syllabe par syllabe, mais ne comprit toujours pas. Alors il l'incita à utiliser ses doigts. Le serveur forma un six, un deux, un zéro, un second zéro... puis un autre. Mal à l'aise, Peter arracha le stylo qui dépassait de sa poche, puis griffonna 6200 sur sa main. Le serveur récupéra son encre et rajouta un zéro. Le jeune garçon retourna vers la table, il se sentait comme un zombie, répétant à voix basse les numéros perdants de la loterie : 62 000, 62 000... Je vais m'enfiler quelques verres, ça ira mieux. Mais Paul avait terminé le Klug 1928.

— Les amis, que diriez-vous de terminer la soirée sur le yacht de monsieur Thomasfield ? proposa leur nouvel ami en exprimant son bonheur. Je vous promets de vous régaler ! La musique sera divine et les gens moins déchirés, dit-il, toujours avec cet enthousiasme contagieux.

Lisa ne fut pas contaminée cette fois-ci :
— Mais nous sommes arrivés il y a à peine une heure !

— C'est ce qui est excitant non ? Traverser les plus beaux endroits créés par l'homme, goûter à tous les paysages, toutes les odeurs ! En restant ici on ne goûtera qu'au triste parfum de la beuh. En plus on risque de se faire brancher par ce gros nul qui mate Lisa depuis le moment où on s'est assis.

Peter vérifia d'un coup d'œil l'information : un homme emballé dans un paquet de fourrures se frottait le nez toutes les trois secondes et se léchait les lèves en regardant sa rousse. L'idée du yacht lui plaisait bien, ici, il n'avait plus rien à boire. Il fallait absolument qu'il boive. Paul lui devait sa tournée.

— Moi je suis partant, quittons les lieux ça craint cette soirée.

— D'accord Peter, vas sur ce bateau dépenser quelques milliers de plus, moi je rentre à l'hôtel, rétorqua Lisa, vexée de ne pas avoir été consultée. Oh ! Et si jamais tu me trouves un bijou à deux cent mille euros, ne te retiens pas ! cracha-t-elle sur le ton de l'ironie. Elle s'en alla.

Peter était trop tourmenté pour réagir rapidement. Il la laissa partir. Une heure plus tard, il se retrouvait avec Paul sur un quai à Miami, devant un bateau de sept étages. Un hélicoptère siégeait au sommet. Des jacuzzis avaient été montés pour l'occasion, de jeunes filles en topless profitaient de l'eau chaude. Les hommes profitaient de la vue, certains goûtaient à leur chaire en public. Mais la file d'attente était longue. Vingt minutes furent nécessaires avant de pouvoir s'entretenir avec le capitaine du navire qui se chargeait personnellement de l'accueil. Lui aussi se débrouillait bien avec la langue de Molière.

— Bonjour, nous sommes des clients du Lush Royal, annonça Paul sans pression.

— Très bien messieurs, je vais avoir besoin de voir vos cartes de chambre s'il vous plait.

Paul sortit sa clé magnétique. Peter sortit la sienne. Elles n'étaient pas tout à fait similaires... Celle de Paul était dorée, pailletée, distinguée. Celle de Peter avait l'apparence d'un vulgaire morceau de plastique. La différence ne passa pas inaperçue.

— Je crains que ce ne soit pas suffisant monsieur, désolé, expliqua le capitaine en le regardant à peine. Quant à vous, je vous souhaite une agréable soirée. Paul aborda le bateau et lança un regard gêné à Peter. Je te retrouve demain à la piscine mon ami ! ajouta-t-il avant de disparaître.

Peter hésita à plonger dans la mer quelques mètres plus loin pour se hisser à l'aide des bouées au bout de cordes qui pendaient, mais les conneries suffisaient pour la soirée. Quelle soirée... Il n'était pas prêt de l'oublier. Ce Paul avait profité de lui en lui vendant du rêve, il n'avait acheté que du cauchemar. Toutes ses économies étaient parties en fumée, il allait devoir appeler sa banque pour négocier ; pas sûr qu'il garde l'appartement. Et sa chérie, sa princesse... quand il arriva à la chambre, il ne la trouva pas. Elle était partie, laissant cette lettre derrière elle:

Bonjour Lisa,
Vas-tu arrêter d'être folle ? Je ne t'aime pas et je ne t'aimerai jamais ! Je te vois traîner devant chez moi le soir, tu m'inspires du dégoût. Te voir vivre avec mon meilleur ami pour m'atteindre... Je n'ai aucun mot pour qualifier cet égoïsme. Peter est une bonne personne, il ne mérite pas tes enfantillages. Alors pour la dernière fois je te le demande gentiment, quitte-le, va-t'en, sors de nos vies !

Je suis à deux doigts de te dénoncer. Vraiment. J'appellerais ça un mal pour un très grand bien. Mais avant d'en arriver là, je vais te laisser une dernière chance. Je te laisse une semaine pour quitter Peter. Je te laisse même de bon cœur de l'argent, accepte ce chèque. Avec, tu pourras rencontrer de nouvelles personnes à détruire. Mais nous, tu nous laisses.

Tu es prévenue,
Eddy

PS : Si ton amour pour moi est tel que tu me l'as décrit, alors tu me respecteras et tu ne lui diras rien de notre relation passée. C'est un service que je te demande. Il ne doit rien savoir, ça le tuerait. 

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant