La table était dressée, son verre fétiche incrusté de feuilles d'or rempli, et les assiettes chacune abritées sous une cloche. Elle avait sorti leurs plus beaux couverts, ceux en os de requin. Peter s'attendait à un nouveau festin : peut-être du veau, peut-être des cuisses de grenouilles ; ses deux plats favoris. Apprendre à connaître ses goûts ne fut pas tâche aisée pour Lisa, puisque le jeune homme ne se connaissait pas lui-même. Pendant sa jeunesse, ses parents ne lui avaient jamais préparé de "fait maison", uniquement des conserves. Et dans la rue, il n'achetait que le bas de gamme en promo. Alors quand elle lui demanda s'il aimait les travers de porc ou la salade de fruits de mer, autant dire qu'elle parla chinois. Mais Peter était bien tombé avec Lisa ; il s'était réjoui en apprenant qu'elle travaillait dans un restaurant étoilé en tant que sous-chef. Elle lui préparait des délices, son palais tomba amoureux de sa fourchette. Elle lui apprit même à cuisiner certains plats simples, comme les pâtes à la carbonara par exemple, qu'il se préparait chaque soir où elle rentrait trop tard. Lisa représentait son arme face à la malbouffe. D'ailleurs, il n'avait jamais révélé son secret à ses nutritionnistes hagards. A chaque repas il soulevait la coupole et se laissait enivrer d'un doux parfum de nourriture bien faite. Ce soir, Peter se demandait ce qu'elle avait bien pu lui concocter.
Il contempla sa magnifique compagne. Sa chevelure rousse qui avait brillé sous ses yeux chaque matin dans le métro lui appartenait désormais. Il pouvait y passer ses doigts à volonté. Son parfum commençait à lui devenir familier. Elle sentait aussi bon qu'une tulipe au printemps. Quand il approchait son nez de sa peau, il pouvait s'imaginer courir dans un champ de fleurs défiant l'horizon. Depuis qu'il l'avait séduite et convaincue d'emménager avec lui, il avait passé son temps à parer son cou de perles et de pierres précieuses. "Ça met en valeur ton regard de braise", expliquait-il quand elle s'offusquait du prix. "Imagine le Radeau de la Méduse sans son cadre voluptueux. Les meilleures œuvres méritent les meilleures parures". D'ailleurs, Peter avait investi dans des tableaux de peintres inconnus, il espérait les vendre plus chers dans quelques années. Tous les murs de l'appartement en étaient recouverts. Mais parmi toutes, Lisa était la seule œuvre dont il ne se séparerait jamais.— Bien nagé mon chéri ? lui demanda-t-elle en s'approchant de lui avec l'élégance et la volupté d'un lynx.
Il hésita à lui parler de l'incident avec la petite, mais le moment présent était trop limpide pour jeter un pépin dans la sauce. Et sa compagne était trop belle pour déformer ses traits avec des pleurs inutiles. Il resta planté devant elle, la contemplant comme si elle était la preuve de l'existence des sirènes. "Cette créature m'appartient" se dit-il fièrement. Il eut envie de l'étreindre, alors il l'étreignit. Ses paupières s'abaissèrent pour qu'il puisse profiter pleinement de ce moment parfait. Les mains fraîches de Lisa passèrent sous son t-shirt, Peter fut parcouru d'un doux frisson. Le froid ne le menaçait plus, il pouvait l'apprécier sous une autre forme que la douleur. Peter pouvait sentir la tendresse d'un autre corps sans craindre la maladie. Le toit qui les abritait offrait tout le confort possible pour un tel partage amoureux. Le jeune garçon libéra ses pupilles du noir pour contempler la beauté de son appartement. Les murs portaient des couleurs épurées : beaucoup de blanc, plus le marron du parquet. Pas de tapis, pourquoi recouvrir un si beau bois avec des poils ? Les meubles étaient modernes, dos à lui trônait un four dernier-cri qui se reposait avant la cuisson du prochain plat mijoté. Les spatules suspendues au mur respectaient un classement de taille à la Dalton. La cuisine était bien propre et bien rangée, si bien que l'enveloppe ouverte sur la table de verre capta son attention. Elle était à l'attention de Lisa... Lisa ne recevait jamais de courrier. Et il y avait ce chèque qui dépassait. Peter décida de lâcher sa chérie pour jeter un coup d'œil au montant, sans arrière-pensée, juste par curiosité. Il s'élevait à 8 500 euros.
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Tomber de bas ( Terminė)
AdventurePeter et Théophile ont touché le fond. Le genre de trou ténébreux qu'on ne remonte pas avec une échelle, mais bien en utilisant son cerveau. Un brin de courage peut aider, mais est-ce suffisant ? Il va falloir se salir... Terminé, pas de modifs en v...