— Ma flamme ! Tu scintilles ! Nan mais regarde toi dans cette robe, tu es merveilleuse ! se réjouit Peter alors qu'il ajustait son nœud papillon.
— Merci, tu n'es pas mal non plus bellâtre, renchérit Lisa en imitant les manières d'une duchesse. Elle enfila ses talons rouges qui s'alliaient parfaitement avec sa robe, ses boucles d'oreilles et sa chevelure écarlate. Après s'être passée un dernier coup de pinceau pour accentuer le pep de son teint, elle ouvrit la marche gaiement : mon seigneur est attendu pour l'ouverture du bal ! Elle fit la révérence et attrapa le bras de son cavalier.
Pendant la sieste de sa compagne, Peter qui tenait absolument à répondre à l'invitation mondaine, usa son joker. Enfin, dit autrement, il usa sa carte bleue. Cette robe avait coûté une fortune, leur budget détente en prenait un coup. Il allait devoir lui dire non pour la croisière qu'elle avait repérée en arrivant, elle sera probablement déçue. Mais pour l'instant, son costume de princesse la ravissait et ils descendirent fiers de leur apparence, les quelques marches qui séparaient la chambre 106 du hall d'entrée.
Les yeux des employés s'écarquillèrent devant la beauté du couple – en l'occurrence, c'était Lisa qui attirait cent pourcents de leur attention – qui descendait les escaliers au ralenti pour exagérer le charme de la scène. Chacun pensa à un film aimé ; Peter se prenait pour Rayman descendant l'escalator, prêt à piller le casino, tandis que Lisa réalisait son rêve de princesse, né il y a bien longtemps devant Cendrillon. Le patron du Lush Royal se précipita à leur rencontre pour leur cirer les pompes:
— Messieurs dames, vous êtes splendides ! Je troquerais volontiers ma femme contre la vôtre, plaisanta-t-il. Souhaitez-vous vous rendre à la réception de l'hôtel ?
Les clients qui portaient de la haute-couture méritaient qu'on les chouchoute. Ils eurent déjà droit à un parfait français, ce qui fit l'affaire de Peter.
— Absolument ! se délecta le jeune homme, ravi qu'on l'accueille aussi chaleureusement. Y a-t-il quelques mignardises à se mettre sous la dent ? Nous n'avons pas pris le temps de dîner, nous avons tardé à nous préparer. La fermeture éclair de madame est restée coincée, on a dû la changer à la boutique, enfin vous comprenez, les allers-retours quoi, expliqua Peter qui décidément ne connaissait rien aux codes de la bourgeoisie. Lisa leva les yeux au ciel, humiliée : ça voulait clairement dire qu'elle était grosse.
— Ces grandes marques ont tendance à se reposer sur leurs lauriers, il y a de plus en plus d'anomalies à la fabrication, rassura le directeur qui avait tout du parfait gentleman. La moustache taillée en pointe, le haut-de-forme, les boutons de manchette en or... le gérant du Lush ne commettait aucune faute de goût. Vous trouverez plusieurs pièces montées au banquet, reprit-il pour répondre à Peter. Si vous désirez des plats plus sophistiqués, je peux sans problème demander au chef de vous mijoter son fameux pavé de saumon. Il coule sur le dessus une sauce citronnée d'une extrême légèreté, une recette exquise, vraiment. Je vous envoie le service à quelle chambre ? ajouta-t-il à la vue du jeune homme qui avalait sa salive et se léchait les babines.
— Nous sommes chambre 921, mentit Peter, ayant repéré l'étage des suites dans le catalogue. Mais nous nous contenterons des bouchées en salle, confia-t-il à contrecœur. Il transmit ses remerciements au patron du Lush et entraîna Lisa vers la musique.
Avant de pousser les deux grosses portes de la salle des concerts, la rousse donna un coup dans les côtes de son partenaire : "reste naturel et arrête tes mensonges ! Si au moins tu avais donné le numéro d'une chambre qui existe ! En haut ça monte à 915, pas plus. Ne me refais plus ça !". Peter se sentit bête, mais ce n'était pas le moment de flancher ; ils entrèrent dans la grande salle. La décoration dépassait tout ce qu'il avait pu s'imaginer. Le plafond était peint en bleu foncé, quelques nuages gris renforçaient le réalisme et des ampoules discrètes représentaient les étoiles. Au centre, un immense lustre en cristal endossait volontiers le rôle de la Lune. Les murs étaient blancs, des néons bleus déchargeaient leur éclat dessus. De majestueux pots de fleurs se dressaient au milieu des gens, créant des coins sympathiques pour discuter ; avoir des roses sous le nez, ça ne vaut pas du gui, mais ça contribue tout de même à l'ambiance. Pour ceux qui préféraient le grand air, la baie vitrée était ouverte et donnait sur une grande terrasse. Depuis cet espace, on pouvait voir la mer. Soudain, deux jeunes enfants en salopette bousculèrent le couple. Leurs parents en pullover vinrent s'excuser à leur place. Au buffet, un jeune renversa sa coupe de champagne sur son jean. Une dame déchira son collant en essayant de couper en deux un macaron avec un couteau. Un type salissait le plancher à cause de la boue sous ses baskets. Une montre en plastique attachée au poignet d'un adulte, donna la nausée à Peter... Le standing qu'il espérait n'était pas du tout à la hauteur. Les riches étaient donc restés cloitrés dans leur chambre. Au combien déçu, Peter annonça la couleur : "bon bah on n'a plus qu'à picoler". Lisa aussi n'était pas aux anges, la musique classique ne lui plaisait pas et ne correspondait à personne d'ailleurs. Elle pressentait qu'elle serait seule à danser si jamais elle en trouvait le courage. Pour le moment, leur estomac avait besoin de ravitaillement. Ils se rapprochèrent alors de la grande table. Les sculptures sucrées n'étaient pas encore très attaquées puisque les invités, impressionnés par une présentation haut-de-gamme, attrapaient leurs macarons avec précaution. Ils transpiraient presque de peur qu'on ne les voit faire tomber des miettes sur le tapis. Peter ses efforts, il les avait largement faits dans sa tenue. Alors sans retenue, il cueillit une poignée de gâteaux. En un passage, la pyramide de macarons semblait s'être prise un boulet de canon lancé par un ennemi révolté. Il les goba sans scrupule pour leur goût, ne prêta attention ni à leur couleur ni à leur parfum. Parfois même, il en croqua un sans avoir terminé le précédent. L'ex sans-abri ne leur accorda pas plus d'estime qu'à des raisins secs. Quant à l'alcool, au lieu de savourer la boisson de qualité, Peter en avala un maximum pour le simple plaisir de partir sur orbite. Lisa, nettement plus raffinée, attira l'attention d'un solitaire mieux sapé que la moyenne.
— Je vous conseille le macaron à la framboise, c'est celui qui a le plus de goût ! dit-il en roulant sa moustache du bout des doigts, en connaisseur. C'était un français natif à en juger l'absence d'accent.
— Tout à fait d'accord ! répondit Lisa, ravie qu'on lui fasse la conversation. Ce sont mes préférés !
— Voyez-vous, pour apprécier réellement un macaron, il faut le croquer délicatement, se concentrer sur le biscuit, la crème, puis de nouveau le biscuit. Il faut le visualiser ! expliqua le convive en montrant l'exemple. Ses yeux clos et la respiration profonde, il avait l'air de se concentrer pour déplacer une montagne.
— Allez viens, on change de soirée, annonça Peter, la bouche pleine de plusieurs macarons.
— Ah vous aussi vous partez mon ami ? s'intéressa le spécialiste des biscuits. Si cette réception ne vous plaît pas non plus, vous préférerez sans doute m'accompagner à la soirée des Baker-Smith ! Cette famille possède une des plus grosses villas au bord de la mer, elle organise une soirée très chic, très bourgeoise. Tout le gratin de la Floride y est invité. Je le connais très bien monsieur Baker-Smith, il sera content de nous recevoir. Qu'en dites-vous ?
Peter engouffra un dernier macaron dans sa bouche et l'avala sans le mâcher. Ces machins passaient tout seul maintenant. Quand il eut dégluti, il accepta la proposition d'un large sourire.
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Tomber de bas ( Terminė)
AdventurePeter et Théophile ont touché le fond. Le genre de trou ténébreux qu'on ne remonte pas avec une échelle, mais bien en utilisant son cerveau. Un brin de courage peut aider, mais est-ce suffisant ? Il va falloir se salir... Terminé, pas de modifs en v...