Il quitta son bureau pour la cuisine où la nourriture abondait. Les deux s'arrêtèrent immédiatement de parler lorsqu'il pénétra dans la cuisine. Se doutant qu'il interrompait une conversation qui n'avait pas lieu d'être, il s'énerva gentiment. Ses gestes étaient vifs et mal assurés, le breuvage faisait déjà effet:
- Allez-y, continuez votre discussion je ne fais que passer.
- Tu as aimé la blanquette mon chéri ? demanda Elsa ingénue.
- Oui et j'en reprends. Le vin était très bon aussi, dit-il avec sarcasme en imaginant la haine que devait ressentir le gros.A chaque fois qu'il croisait Jean-Yves dans les couloirs, ses joues étaient rouges écarlates et son nez assez coloré pour travailler au cirque du soleil en tant que type drôle.
- Vous avez une très belle cave Eddy, félicitation ! déclara l'invité pas si haineux que ça.
- Oh merci, vous savez le vin c'est u...Quand il s'accouda au bar pour répondre à son interlocuteur, son débit de parole se stoppa net. Il ne croyait pas ce qu'il voyait. Sa femme avait dépassé les bornes. La bouteille la plus précieuse de sa collection était là, débouchonnée et à moitié vidée, en partie dans le verre du monsieur. Des gouttes rougeâtres perlaient dans sa grosse moustache velue ; c'était dégoutant. Eddy se ramena en trombe.
- Oh ! Je ne suis pas sûr que cette bouteille soit bien adaptée à un convive de cet acabit mon amour, regarde-le il s'en fou partout ! Je vais arranger ça, continua-t-il sur un ton faux de chez faux.
Il s'empara du verre plein d'un geste rendu incertain par l'alcool, retourna en cuisine et vida la jolie liqueur dans l'évier. Plutôt perdre cette bouteille que de l'offrir à ce salop ! pensa-t-il. Puis il remplit le contenant avec un jus d'orange puisé tout droit d'une brique dans leur frigo. Il lui rapporta.
- Voilà mon gros bonhomme, vous m'en direz des nouvelles ! dit-il en lui donnant une puissante tape dans le dos.
Jean-Yves semblait décontenancé sur sa chaise en bois quasi-inapparente sous son fessier, on aurait dit qu'il avait deux bouches: un fan de viande et un fan de mobilier. Le monsieur ne baragouina que quelques mots incompréhensibles en réponse et resta patiemment assis, jusqu'au moment où son hôte plongea la main dans la poche de son manteau posé sur le dossier. Je ne vous permets pas, rendez-moi mon bien ! se refrogna-t-il pour la première fois après toutes les provocations dont il avait été victime. Il en fallait plus à Eddy qui jouait avec ses nerfs. On aurait dit un grand dadais narguant un enfant avec sa sucette.
- Chéri, rend-lui bon sang ! Tu me fais honte ! s'égosilla Elsa en tapant du poing sur la table. Le choc fit tomber un pot de moutarde ouvert sur sa robe. Fais chier.
Eddy souriait face à la gêne de son ennemi. En attendant, il appréhendait l'ouverture de la petite boîte rouge qu'il tenait dans la main et qui ressemblait étrangement à celles du joaillier Cartier. Effectivement, il en tira un magnifique bracelet.
- Il ne fallait pas mon bon Janot ! Vous êtes ici notre invité, nul besoin de cadeau ! s'efforça-t-il de dire en restant le plus courtois possible, face à son convive qui flippait sur place. Elle me va si bien, merci mille fois ! s'exclama-t-il en l'embrassant contre son gré.
Apparemment, la mauvaise haleine d'Eddy était une douce caresse comparé à la baigne qu'il s'attendait à recevoir, vu qu'il soupira de soulagement quand le publicitaire se renferma dans son antre, le bijou au poignet, son assiette pleine dans une main et la seconde bouteille dans l'autre. Eddy ! Reviens et comporte-toi comme un homme ! cria son épouse à travers la porte. Le mari ignora ses appels, de toute façon, tout ce qu'elle voulait c'était récupérer les diamants.
Vingt-trois heure trente à sa montre, le temps pressait. Il gribouilla sur une feuille un canapé et tenta de rajouter quelques slogans, quelques gens, quelques animaux, quelques autres artifices, mais c'était comme emboîter des pièces de puzzles de différentes boîtes entre elles. Rien ne collait, rien ne faisait tilt. Il dû s'y résoudre, il n'y arriverait pas. La honte allait entacher son nom, il allait perdre son job, et sa femme allait partir avec plus nanti.
Perdu pour perdu, il but de grandes goulées de ce vin de luxe. Il savoura, c'était probablement la dernière bouteille de cette valeur qu'il dégustait. Rapidement, sa tête commençait réellement à lui tourner. Il avait beau être un bon buveur, la quantité d'alcool absorbée n'était pas négligeable. Soudain, il eut envie de rajouter à ce moment d'abandon, un bon cigare cubain. Il attrapa sa boîte en argent dans son coffre, en mit un dans la bouche, puis actionna son Zippo dessous. Bien sûr, ça devait arriver ce soir... plus d'essence.
Il se leva péniblement, et chuta aussitôt. Pas moyen que je reste comme un con devant mon cigare, songea Eddy. Ragaillardi par une hallucination d'un cigare géant, il se releva et tourna la clé dans la porte qu'il voyait en triple. Puis il se jeta volontairement sur le sol pour ramper discrètement dans le couloir: ni Elsa, ni l'invité ne devait le voir dans cet état de faiblesse. Il passa sans encombre devant la première porte fermée, celle des toilettes. La suivante était la plus risquée, celle de la cuisine, mais il passa sans non plus être repéré. Il essuya ainsi le carrelage jusqu'au porte-manteau dans l'entrée, où il espérait trouver son briquet.
Dans un mouvement d'agonie, Eddy leva le bras qu'il rabaissa aussitôt pour bloquer un relent. Il retenta, fouilla ses poches et en sortit son Zippo, plus une boulette de papier en bonus. Son esprit était tellement embué qu'il ne réalisa pas qu'à la machine à pince, ça équivalait à une double prise. Du jamais vu quoi.
Son ventre lui faisait atrocement mal, ça le lançait. Il ne voyait vraiment pas comment il allait réaliser le chemin du retour. Quel chemin de retour ? Je fume là moi, je m'en branle ! chuchota l'ivrogne à un ami imaginaire. Il fit glisser son délice cubain de sa manche, et utilisa ses dernières forces pour allumer l'objet de son désir. Une taffe de ce cigare l'envoya directement sur une autre planète. Le bout de ses doigts qu'il ne sentait quasiment plus jouait avec le papier qu'il déplia inconsciemment. Il tira une deuxième taffe extrêmement violente, pile au moment où un dessin apparu clairement dans sa caboche. Mais il était trop tard, il avait déjà lâché prise.
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Tomber de bas ( Terminė)
AdventurePeter et Théophile ont touché le fond. Le genre de trou ténébreux qu'on ne remonte pas avec une échelle, mais bien en utilisant son cerveau. Un brin de courage peut aider, mais est-ce suffisant ? Il va falloir se salir... Terminé, pas de modifs en v...