2. Les secrets de la ligne 12

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Il fouilla ronchon dans son sac et en sortit un mouchoir avec lequel il enveloppa son doigt blessé. Il fit un travail digne d'un grand médecin, en peu de temps le sang s'arrêta de couler. Peter jeta un œil empli d'espoir vers le panneau d'affichage. Il fut désagréablement surpris en comprenant qu'il allait devoir attendre douze minutes avant que le train arrive. Il soupira si profondément que ses poumons finirent par lui réclamer de l'air ; le jeune homme semblait éreinté.


Peter venait de terminer sa journée et il était presque une heure du matin. Que faisait-il jusqu'à si tard ? Habituellement, des indices comme le style vestimentaire, la façon de bouger ou la douceur de la peau, permettent de deviner le métier exercé. Mais Peter était si atypique ! Il cumulait des caractéristiques physiques tellement contradictoires, qu'il avait autant de chances d'être pris pour un fleuriste, que pour un dealer de stupéfiants. Bourré de charme, ses gestes avaient de l'élégance. N'importe qui l'aurait remarqué rien qu'en l'observant tourner la tête sur la gauche toutes les quinze secondes, pour s'informer de l'heure. Mais ses cheveux courts et sombres lui retiraient sa part de féminité. Ses yeux bleu turquoise laissaient paraître de la fougue et de la gaieté, mais ses lèvres complètement gercées ainsi que ses traits de visage profondément marqués, faisaient se poser des questions. Son apparence toute entière ressemblait à une arène où le pur et l'impur se livraient bataille. Ses mains étaient très douces au toucher, mais plusieurs cicatrices venaient gâcher la fête. Ses minces biceps contrastaient avec des abdominaux apparents. Quant à ses fringues, difficile à dire si elles étaient belles ou laides. A titre d'exemple, Peter portait ce soir-là une salopette grise par-dessus une grosse maille bleu marine. Aux pieds, il traînait de vieilles Converse usées. Un assortiment plutôt étrange, mais ça lui allait bien.

Après mille coups d'œil jetés vers le tableau d'affichage, un pigeon perdu sous terre attrapa un torticolis à force de le regarder. Le train arriva dans la foulée et plusieurs jeunes adultes ivres-morts, rampèrent hors de là. Personne ne monta. Personne.
Le métro repartit dans le tunnel suivant.
Peter était resté sur son siège M&M's.
Ce soir, plus de moyen pour lui de rentrer au bercail. Ce soir, il semblait bien emmerdé.

Mais contre toute attente, le garçon avait la banane. Il se leva et s'étira comme un dimanche matin, après une bonne matinée grassouillette. Là, il lui prit subitement l'envie de descendre sur les rails. Il évita chaque bande métallique susceptible de l'électrocuter ; ce n'était donc pas une envie de suicide, alléluia. Il bondit sur le petit trottoir qui bordait le mur avec l'agilité d'une fillette en tutu et navigua dans le noir comme s'il faisait jour. Il s'enfonça dans les ténèbres sur une centaine de mètres, puis soudain, il se stoppa et tâta le mur. Peter retira quelques briques qui n'étaient plus collées depuis des lustres. Sa main s'engouffra dans la cavité et agrippa un sac planqué derrière. Il s'en empara et remis soigneusement la pâte cuite à sa place. Ni vu ni connu, le garçon s'éclipsa aussi vite qu'il était venu.


Il revint sur ses pas, ne s'éternisa pas sur le quai et se précipita vers la sortie en grimpant les marches quatre par quatre. La banane... Mais comment pouvait-il garder le sourire à une heure du matin dans les couloirs bondés de parasites, poussiéreux, puants de pisse ? Ça avait l'air chiant à mourir ! Pourtant, la partie agaçante de sa soirée était derrière lui... Dans un tournant, il ralentit l'allure : un homme dormait, étalé sur le sol avec seulement une fine couverture pour affronter la douceur de la nuit. Et plutôt que de le contourner comme le fait la totalité de la population parisienne, Peter s'agenouilla, puis se pencha au-dessus de son corps. Il osa même le toucher du bout des doigts. Il osa même le secouer pour le réveiller.


— Théo ! Réveille-toi, il faut que je te montre quelque chose !


— Hein quoi ? A cette heure-là ? baragouina le vieil homme qui émergeait d'un cauchemar ou d'un rêve. Tu ne veux pas attendre demain matin ?


— Demain, une aveugle te marchera peut-être sur les couilles et tu ne te relèveras plus. Alors un conseil, profite de la vie et suis-moi sans chichis !


Par réflexe, le vieux tira sur l'élastique de son caleçon histoire de vérifier l'état de ses boules. "Ce n'est pas trop loin ?" demanda-t-il, apparemment convaincu par l'argument de Peter. "A deux pas d'ici", assura le jeune homme avec un sourire qui sous-entendait le contraire. Le clochard sortit péniblement de dessous sa petite couette et un courant d'air le fit grelotter aussitôt ; c'était l'hiver, le pire cauchemar du SDF. Nombre de fois, Théophile – surnommé Théo par tous ceux qui le connaissait – se réveilla le matin en apprenant qu'une des personnes qui le surnommait Théo, s'était éteinte dans son sommeil. Des amis, il en avait enterrés un paquet à cause du froid. Donc finalement, l'échappée nocturne que lui proposait Peter lui seyait à merveille, lui qui avait peur de fermer les yeux et de ne plus jamais les rouvrir.


Avant d'emboîter le pas de son ami, il effectua quelques étirements afin de réchauffer ses membres gelés ; quand on a une barbe blanche, on a tendance à prendre plus de précautions que les jeunes. Ses cheveux aussi étaient blancs d'ailleurs. Il les portait longs et détachés pour avoir une sorte de hutte au-dessus de la tête, ça lui tiédissait les joues. Son gros manteau verre était taché, troué, bref très amoché. Son pantalon rouge pourpre par contre sortait du magasin, Théophile avait économisé pour se le payer. Les godasses: dégommées.


Il avait bien réfléchi et ne se sentait pas prêt cette année à affronter la saison. Arrivé à hauteur de Peter, il partagea ses inquiétudes:


— Demain il faudra racheter des couvertures plus chaudes, ça caille cette année.


— On aura assez ?


— Oui ne t'en fais pas, j'ai refait les comptes et on est large pour quelques jours, on a fait du bon chiffre cette semaine, rassura Théophile.

— C'est vrai qu'on leur a soutiré un tas de fric à ces chiens de parisiens ! Et crois-moi, on fera encore mieux le mois qui vient, j'ai un nouveau stratagème à tester ! Mais chaque chose en son temps, il faut que je te montre une découverte primordiale ce soir, une nouveauté qui pourrait changer la donne. C'est à droite, on remonte à la surface.

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant