Pas une seconde ne passa dans l'avion sans que Peter ne souhaite qu'il s'écrase. La tête collée au hublot, son imagination débordante le fit sourire, il crut voir l'aile se détacher. Il vit le moteur exploser, sentit son siège se soulever et l'altitude dégringoler. Dans sa tête, les gens hurlaient de peur, certains mal attachés furent propulsés au plafond et leurs crânes se fendirent. Les femmes, plus prudentes, étaient majoritairement maintenues dans leurs sièges par leurs ceintures. Elles hurlaient leur malheur, les habits tâchés de sang. Des canettes, des magazines et des ordinateurs portables assommaient les personnes toujours conscientes. Et dans ce remue-ménage, les hôtesses prenaient leur voix la plus rassurante pour prier tous ces fous de bien vouloir suivre les consignes de sécurité. Les masques d'oxygène pendaient comme des stalagmites, les survivants les emboitaient sur leur bouche et respiraient comme des dératés. Peter n'était pas attaché, mais ses fesses collaient au siège. Maître de cet espace-temps, ses poumons fonctionnaient très bien et étaient comblés d'oxygène. Il observa une dame sur la rangée de gauche qui pompait tout l'air du masque. Elle regarda dans sa direction et Peter s'amusa de ses yeux globuleux qui sortaient de leurs orbites. La puissance de son imagination lui permit même de ralentir le temps au moment où l'appareil percuta la surface de la mer. Assis comme au cinéma, il vit la porte du pilote éclater avec deux corps de la Royal Airlines propulsés par une vague extrêmement violente. Puis les premiers sièges se joignirent au rinçage, tout s'arrachait, tout pétait. Les passagers disparaissaient un par un. Peter eut l'impression de recevoir des gouttes d'eau dans les cheveux, et des débris frôlèrent ses joues. Puis quand ce fut à son tour de se faire engloutir, il se marra. Il souriait, lui qui voulait crever, à ces pauvres gens qui voulaient vivre. Il jubilait de pouvoir quitter ce monde cruel. Mais passée la vague, l'avion retrouva son calme, sa trajectoire, et les masques se rembobinèrent comme de vieilles cassettes.
Peter était déçu, tout le monde était sec et en vie. Il aurait souhaité que cette infâme société bourgeoise perde une centaines de ses mercenaires. Toutes ces familles semblaient adorables et respectables, mais Peter savait désormais qu'en grattant un peu la couche superficielle, on tombait sur un gros tas de merde. La femme qu'il avait imaginée s'étouffer dans son masque par exemple, il donnerait sa main à couper qu'elle vendrait son enfant pour cent mille euros. S'il avait eu les capitaux, il se serait d'ailleurs amusé à en faire le test. Mais si le vice formait des traces visibles sur le visage de certaines personnes, d'autres possédaient ce don d'être indéchiffrable. Jamais il ne se serait douté que Lisa le bernait depuis le début. Pourtant il avait creusé son âme qu'il pensait connaître mieux que quiconque. Elle l'avait brisé. Les débris de carrosserie imaginés dans son délire étaient épais, comparés à son cœur réduit en poussières. Il se demanda ce qu'il allait faire de sa vie: "Je déteste les riches parce qu'ils le sont plus que moi. Je déteste les modestes parce qu'ils se déchirent pour l'argent. Je déteste les pauvres qui s'aiment et partagent leur misère. Alors vers qui se tourner ? Les monstres ? Les monstres ? Ou les ... je ne sais pas comment les appeler. Ils sont si bons mais ignorent des plaisirs dont on ne peut pas se passer une fois qu'on les a goûtés. Quand on commence à jouir de ce que l'homme a créé pour le divertissement, le paraître et le confort, on devient fou. On veut goûter plus, toujours plus, et on oublie ce que l'on possède déjà. Je me souviens du jour où cette petite fille m'a offert mon miroir de poche. Je l'ai chéri. Depuis que j'ai de l'argent, y a-t-il un seul objet qui ne me soit pas anodin ? Je ne sais même plus ce que j'ai acheté hier."
Une musique joyeuse sortit de l'ordinateur du petit garçon assis à sa gauche. Peter eut envie de l'insulter ; il sentait qu'il s'était approché d'une direction à prendre. Il fallait qu'il choisisse son camp avant l'atterrissage. Déjà, Lisa ne ferait plus partie de ses projets. Cette sorcière ne lui avait apporté que malheur et trahison. PLUS JAMAIS il ne lui reparlerait. S'il trouvait la moindre chaussette lui appartenant dans son appartement, il allumerait la cheminée et la cramerait jusqu'à la dernière laine. Puis Peter repensa à la soirée de la veille: "De toute façon, l'appartement est saisi à l'heure qu'il est. La bouteille d'alcool a fait fondre mon compte en banque comme de l'acide". Alors qu'il s'apprêtait à revenir à ses pensées philosophiques, la musique du petit mec laissa place aux paroles d'un dessin-animé bien connu de Peter. Il ne put supporter de reconnaître Rémi, le rongeur de Ratatouille.
— Excuse-moi bonhomme, t'as pas un autre film que celui-là ?— Si, mais c'est Ratatouille que je veux voir.
— Ecoute, j'adore aussi ce film, mais un de mes meilleurs amis qui est un rat est mort il n'y pas très longtemps. Ça ravive de mauvais souvenirs, tu comprends ?
— Je veux voir Ratatouille, désolé, s'entêta le morveux.Peter bouillonnait intérieurement. Il hésita à appuyer sur le bouton off de son PC en le narguant d'un sourire provocateur capable de le faire chialer. Finalement, il s'installa confortablement et se laissa embarquer dans l'histoire incroyable du rat-cuisinier. Au bout d'un moment, Peter se permit de faire pause et déclara:
— Tu vois mon gars, ton film résume bien la vie quand on y pense. Rémi a donné un raisin à son frère. Il a adoré. A un tel point qu'il ne pouvait plus résister à en dérober d'autres dans la réserve du restaurant. Ça a foutu Rémi dans la merde ! Eh bien dans la vraie vie c'est pareil. Le conseil que je te donne, c'est de ne jamais croquer le raisin.
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Tomber de bas ( Terminė)
AdventurePeter et Théophile ont touché le fond. Le genre de trou ténébreux qu'on ne remonte pas avec une échelle, mais bien en utilisant son cerveau. Un brin de courage peut aider, mais est-ce suffisant ? Il va falloir se salir... Terminé, pas de modifs en v...