20 Mollard

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Pas de blouses blanches, pas d'aiguilles dans les bras, ça ne sentait pas le malade. Ça ne sentait pas pour autant la rose, mais son odorat s'était habitué aux odeurs nauséabondes. Est-ce qu'il aurait aimé se réveiller à l'hôpital ? Peut-être. Il faisait faim, il avait froid. Quand il ouvrit les yeux, il réalisa qu'il était blotti dans les bras d'une femme laide. Il avait connu mieux comme réveil. Il la connaissait, c'était la junkie qu'il avait rencontrée quelques jours auparavant. Elle lui sourit, il l'imita machinalement. Peter reprenait ses esprits et comprit soudainement sa situation. Si son corps était juste froid et non glacé, c'était grâce à la couverture dans laquelle il était enroulé. "Tu as assez chaud ?" lui demanda Emma. Il regarda tout honteux Maxime qui se grelottait sans rien sur lui, à part quelques vêtements bien sûr.


— Oh oui tu peux me regarder mon salop, regarde comment je me les caille à cause de toi ! gueula-t-il sans une once d'ironie.


— Ne prête pas attention à ce qu'il dit Peter, c'est lui-même qui s'est gentiment proposé de te prêter sa couverture, rassura Emma en protectrice.


— N'importe quoi ! C'est elle, c'est la droguée qui me l'a arrachée pendant que je ronflais ! Ce n'est pas un choix gamin ne rêve pas.

— Merci à tous les trois, lâcha Peter dans un souffle tremblotant.

— A tous les quatre ! Jena a donné un peu de sa fourrure pour te tenir chaud, ne sois pas ingrat avec elle ou elle va s'énerver, ajouta Tommy qui caressait son affreux rat installé dans le col de son pullover.


"C'est donc ça qui me chatouille le nez !" pensa Peter qui dégagea les poils de son visage. , Il eut un haut-le-cœur. Emma caressait le front de Peter, ce qui lui provoqua d'agréables frissons. Elle lui parla:


— Tu as le front brûlant Peter ! Tu devrais manger quelque chose !


— Ah non ! Qu'il ne touche pas à nos mini BN ce n'est pas possible c'est à nous ! Et le pain non plus il n'y a pas le droit, notre soupe aux poireaux encore moins ! grogna Maxime, révolté.


— Alors qu'est-ce que tu veux manger ? demanda Tommy, surexcité pour pas grand- chose.

— Difficile à dire, c'est que je n'ai pas l'impression d'avoir le droit à quoi que ce soit. Mais je comprends je...

— Non ne t'inquiète pas, quand Maxime dit quelque chose il faut comprendre le contraire en fait. En l'occurrence il te proposait du pain, des biscuits chocolatés et un peu de soupe, précisa la jeune fille.


— N'importe quoi, marmonna Maxime dans sa barbe.


— Ah, euh merci Maxime, dit-il embarrassé. Je veux bien un peu de soupe pour me réchauffer.


— Il a déjà ma couette et il demande encore de la chaleur ! Salop !


— Euh, le problème Peter, c'est que la soupe est froide, on ne peut pas la chauffer, ajouta Emma quelque peu gênée.


— Ce n'est pas grave, au moins il y a des légumes, c'est saint.


Toute heureuse, Emma attrapa la brique de soupe à moitié vide que lui tendait énergiquement Tommy, puis servit Peter dans un bol. Pendant qu'elle versait délicatement le contenu, Peter entendit Tommy chuchoter quelque chose dans l'oreille du rongeur. Il n'était pas sûr mais... "Ma princesse, notre ami a froid et voudrait boire chaud, tu pourrais pisser dans son bol s'il te plaît ? Allez ma belle."

Peter leva la tête vers cet homme étrange qui jubilait derrière ses mains, croyant assurément que personne ne l'avait entendu. Le plus effrayant, c'était le regard du rat. Le rongeur fixait vilement l'invité droit dans les yeux, comme s'il le tenait responsable d'un déchirement avec son clan. Quand il reçut sa soupe, l'animal se précipita sur lui. Ses pattes raclèrent le sol à une telle allure qu'il patinait sur place. Puis Jena bondit dans les airs... pour se faire plaquer par Emma à quelques centimètres de son but.

— Tommy ! Surveille Jena s'il te plait, elle a failli renverser le bol de Peter !

— Désolé, désolé ! On ne voulait pas, s'excusa Tommy. Le garçon avait l'air d'un fou.


— Ce n'est rien Tommy, rassura Peter qui fut surpris par la lâcheté de ses muscles face au danger. Ses réflexes ne s'étaient pas manifestés, ne serait-ce que par une grimace en sentant la détermination du rongeur.


— Bon, maintenant explique-nous comment tu as fait pour te retrouver dans cet état. Et où est passé le type des oreillers ? demanda Maxime, toujours de mauvaise humeur.


Après une revigorante goulée de soupe, Peter raconta son histoire. Quand il eut finit son récit, les réactions furent frappantes. Tommy s'exprima le premier:


— J'en étais sûr ! Je leur avais bien dit que cette grosse affiche c'était la même que ton dessin ! Celle avec le canapé bleu ! Elle nous a beaucoup plu à moi et à Jena, toutes mes...

— Quoi ? Quelle affiche ? coupa Peter, affolé. Quelle affiche Tommy ?!

— Je ne suis pas sûr, mais TON affiche Peter, dit timidement Tommy.


Cette nouvelle le fit bouillir de rage. C'est fou comme le corps humain est fait, il eut subitement chaud à cause de cet élan d'adrénaline. Jamais il ne s'était senti autant exploité ! Même au restaurant de son enfance où il avait travaillé pour soutenir ses parents en gagnant trois sous par mois il s'était senti plus digne. "Eddy... Que je t'attrape canaille !" Les parois de son crâne tremblèrent sous la force de cette pensée. Ses cheveux semblaient s'animer alors que le vent ne soufflait pas. "Montre-moi Tommy !", demanda Peter aussi calmement que possible. Le simplet lui indiqua la rue au croisement, c'était tout proche. Sans prévenir, il se dégagea de la couverture, griffa la cuisse d'Emma sans faire exprès, et s'éloigna en toute hâte vers l'affiche.


Elle était là. Immense. Sa publicité recouvrait un gigantesque immeuble en travaux, elle devait s'étendre sur une largeur de huit mètres et une longueur de quinze. Tout était là. Le canapé bleu, la petite famille bien peignée, et le nounours en peluche plus gros que le père. Il n'eut pas besoin de lire le slogan, il savait que c'était écrit "il était temps de changer de canapé !"

La haine l'envahit, il donna un coup de poing dans la vitre du restaurant "Mollard". Les écrevisses toujours en vie dans un aquarium sursautèrent. Un papi s'étrangla avec son homard. Un jeune gringalet en costume sortit lui dire un ou deux mots. Peter ne l'entendit même pas et partit de lui-même à cause de cette affiche qui se moquait de lui. Du coup, le serveur passa pour un héros et rafla les sourires des jeunes femmes de toute sa terrasse.


— Je vais le tuer ! annonça Peter en retournant vers ses amis.


— Qu'est ce qui s'est passé là-bas ? On a entendu des cris ! demanda Emma.


— Il a dû voir son affiche le con, ponctua Maxime.


— Oui, j'ai vu mon affiche et je vais chopper cet escroc de publicitaire !


— Comment comptes-tu faire ? s'exclama Tommy dont l'excitation était subitement revenue.


— Ne t'en fais pas pour ça, j'ai ma petite idée, répondit Peter le souffle haletant et l'expression déterminée.

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant