15. M. Lafargue, je reste !

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Eddy retournait à Publico le menton relevé, fier comme un coq. Huit heures quarante-sept s'affichait à sa montre quand il entra chez Publico, ce qui lui offrit le temps de courtiser les deux réceptionnistes canons, tel le cabotin qu'il était. "Sascha ! On dirait que vous prenez une taille de poitrine chaque jour, à cette allure vous allez pousser les murs !" blagua-t-il en tapotant un sein de la blonde pulpeuse qui ricana bêtement. "Quant à vous très chère Catarina, vous semblez vous sentir à l'étroit dans ce riquiqui espace. Vous vous sentirez mieux dans mon bureau, passez à l'occasion !" conseilla Eddy en s'adressant à la deuxième beauté. Elle acquiesça frénétiquement. Le troisième standardiste était un grand homme fin aux belles dents blanches. Chaque matin, il espérait une petite plaisanterie à l'instar de ses camarades, la langue pendante, comme celle d'un chien. "Salut Mathias", dit seulement le publicitaire. La déception traversa le regard du type ; pas de friandise pour cette fois-ci. Eddy grimpa dans l'ascenseur avec l'assurance d'une rock star, sous les rires admiratifs de ses trois fans.


Il emprunta de nouveau les escaliers puisque cette fois, il y avait une bonne raison de parader. Eddy tenait quelque chose ! Au troisième étage, il croisa deux collègues de son équipe créative, Georges qui l'avait provoqué la veille, et Thomas, un garçon réservé. "Eh les gars !" appréhenda Eddy pour jouir de sa revanche. Mais les deux subordonnés, pris de stupeur, firent demi-tour et disparurent dans le tournant. Le publicitaire les poursuivit, mais il les perdit de vue immédiatement après le virage qui aboutissait en cul de sac. Il n'y avait qu'une échappatoire au fond : les toilettes. Eddy entra, certain de les surprendre dans une cabine, mais tous les verrous restaient ouverts, sans trace des deux hommes. Ils s'étaient volatilisés ! L'heure du rendez-vous approchant, Eddy logea cet étrange épisode dans un coin de sa tête, puis se rendit au dernier étage. Là, il frappa sur le bois où un gros écriteau doré indiquait: M. Lafargue DIRECTEUR GENERAL. Sans la moindre gêne, il entra dans le bureau du patron comme on entre dans une boulangerie.


— Hello sir Lafargue ! dit-il avec un accent british caricaturé.

Son supérieur pris en flagrant délit l'index enfoncé dans une profonde narine, toussa de surprise. Il écourta l'expédition dans la cavité humide pour taper du poing :


— Mais vous êtes fou ! Sortez d'ici tout de suite, espèce d'insolent ! dit le boss en essuyant discrètement son doigt sous son siège à roulettes.

— J'ai mon ticket monsieur le directeur, je ne pars pas, répondit le publicitaire en claquant son dessin sur le bureau.

M. Lafargue observa d'un œil détaché le papier qui venait offenser son espace privé, puis tout à coup, son regard s'intensifia sur cet élément hostile devenu bouleversant.


— Mon garçon ! C'est sublime ! C'est du génie ! Où... où êtes-vous allé chercher cette pépite ? balbutia le directeur en observant les détails du dessin digitalisé et réimprimé dans la matinée, pour un rendu professionnel.

— Je n'ai fait que mon travail monsieur. Un café, une feuille, un stylo et en une heure c'était fait. Vous pensiez que je n'y parviendrais pas ? Grossière erreur. Dorénavant, vous réfléchirez à deux fois avant de menacer d'un licenciement expéditif, riposta Eddy sur un air de défi.


— Je, je suis navré... je, je...


Le patron ridiculisé ne parvenait plus à avancer le moindre argument. Sur ses lèvres, des boules de bave s'accumulaient et dégoulinaient sur sa chemise. Son torse fut rapidement trempé, son visage embué de larmes et de remords. Eddy face à ce spectacle grotesque, ricanait du même rire que les méchants dans les dessins animés. Mais dans ce type de divertissement les méchants perdent toujours. Eddy prit un coup derrière la tête, venu de nulle part. 

Tomber de bas ( Terminė)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant