1er août 2016 - Eline

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- Alors ils ont refusé ?

- Parce que, et je les cite, tu ne fais pas partie de notre famille et Romain et toi...vous n'êtes ni mariés ni fiancés ni cohabitants légaux. Vous n'êtes même pas en couple.

Ils se défendent en indiquant qu'ils doivent avoir une confirmation de mon frère.

- Mais c'est impossible puisqu'il...il...

- Je sais Éline, c'est ce que je leur ai dit. Et crois-moi j'ai vraiment insisté en mentionnant certains extraits de vos mails mais ils disent que cela ressort de la sphère privée et qu'ils ne peuvent en tenir compte. Ils m'ont également dit que je faisais des suppositions à votre sujet et que ce n'était pas recevable.

Je pourrais bien entendu te révéler ce que je sais mais je risque le renvoi. A cause des menaces terroristes, les différents moyens de communication de notre famille sont surveillés. A tout moment la Sûreté de l'Etat peut, si nécessaire, accéder à nos adresses mail et nous avons accepté que nos téléphones soient mis sur écoute au cas où nous recevrions une demande de rançon s'il s'avère que Romain a été enlevé.

Attends un instant. Ma mère vient d'arriver chez moi, est-ce que tu...tu m'autorises à lui parler de toi ? Elle aura peut-être une idée.

Ne t'inquiète pas, elle respectera le souhait de Romain, elle ne parlera pas à mon père.

- D'accord.

J'attends quelques minutes, tendue, anxieuse. J'entends le murmure d'une conversation, je reconnais les voix de Grégoire et de son épouse, Myriam. La troisième doit forcément être celle de Madame Dalmans.

Je sursaute quand j'entends à nouveau la voix du frère de Romain qui me dit qu'il va me passer sa mère.

- Bonjour Éline, je suis Rachel Dalmans. Grégoire m'a expliqué ta situation. Sache que mon mari ne saura rien de tes échanges avec mon fils puisqu'il ne le souhaitait manifestement pas. Et rassure-toi, contrairement à mon mari, je laisse mes fils faire leur vie comme ils l'entendent.

Là où Romain se trompe en revanche c'est que j'ai bien compris qu'il a largement dépassé le cadre professionnel en gardant contact avec toi et que tu es bien plus qu'une simple amie à ses yeux. Mais ne t'inquiète pas, tout ce que je souhaite c'est que mon fils soit heureux.

Je vais prendre contact personnellement avec un ancien collègue de mon mari qui est toujours en service à l'armée et je vais voir ce que je peux faire.
Maintenant, parle-moi un peu de toi.

A mon grand étonnement, j'arrive à discuter facilement avec Rachel Dalmans. Elle se montre très attentive à tout ce que j'ai vécu depuis le 22 mars et à plusieurs reprises elle me dit qu'elle a hâte que je fasse partie officiellement de sa famille.

Je rougis bien malgré moi puis, à sa demande toujours, je lui parle de mon travail, de mes centres d'intérêt, de ma vie à Lyon.
Sans vraiment comprendre comment, je finis par évoquer mon désarroi lors du divorce de mes parents, mon incapacité à accepter la nouvelle épouse de mon père.

Pendant plus d'une heure, la mère de Romain m'écoute attentivement, elle me pose de nombreuses questions et nous nous découvrons avec étonnement quelques passions communes.

J'admire son aisance et sa capacité à me faire parler, à me confier à elle.

Bien malgré moi, lorsque nous évoquons à nouveau Romain à la fin de notre conversation, ma voix se met à trembler.

Je raccroche quelques minutes plus tard avec la promesse de Rachel de tout faire pour que je puisse être moi-aussi informée des développements de l'enquête en Afghanistan.

L'estomac noué, je grignote ensuite vaguement quelques biscuits tout en ressassant de sombres pensées. Je regrette presque la fermeture de l'école pour cause de vacances scolaires. A force de tourner en rond dans mon appartement je deviens folle. Mais je n'arrive pas à trouver le courage de sortir. Manon m'a déjà appelé plusieurs fois depuis le 11 juillet mais j'ai systématiquement refusé toutes ses invitations à sortir ensemble.

Curieusement elle est aujourd'hui en couple avec l'homme qu'elle a rencontré lors de l'inauguration de la boite de nuit de son frère et elle passe tout son temps avec lui.

Pas question pour moi de tenir la chandelle en sortant avec eux.

Comme chaque soir, je me retrouve à regarder les différents bulletins d'information sur les chaînes belges et je sursaute quand j'entends qu'il y a encore eu un attentat à Kaboul.

Je passe ensuite plus d'une heure à éplucher les sites web à la recherche du moindre petit indice au sujet de la disparition de Romain mais sans succès.

Je décide finalement d'aller me coucher mais je ne parviens pas à trouver le sommeil.

Mes conversations avec Grégoire me reviennent à l'esprit et très vite je comprends que quelque chose me chiffonne.,Je me lève brusquement et je retourne allumer mon portable.

Méthodiquement, pendant une bonne partie de la nuit, je prends note de tous les attentats, meurtres et enlèvements qui ont eu lieu en Afghanistan depuis le début de l'année 2016.

Tous sans exception ont été revendiqués par les Talibans, ou par Daesh sauf un : l'enlèvement d'une australienne de 60 ans en avril et qui travaillait dans la région de Jalalabad pour une ONG.

L'article qui en parle explique que Nangarhar, la province où cette femme a été enlevée, est une province instable, foyer des talibans mais aussi du groupe Etat islamique, particulièrement bien implanté à la frontière avec le Pakistan.

Le texte se termine par une précision qui me fait froncer les sourcils : L'Afghanistan est le théâtre de fréquents enlèvements d'humanitaires visant à obtenir des rançons.

Je continue mes recherches et je tombe sur un autre article qui mentionne deux autres enlèvements : celui d'une allemande travaillant pour l'organisation de développement allemande GIZ ,enlevée à Kaboul en août 2015 et libérée en octobre. Puis en juin 2015, une humanitaire néerlandaise qui avait été relâchée ensuite en septembre.

Je recherche l'enregistrement de la vidéo de la conférence donnée par le chef de mission de l'armée belge trois jours après l'enlèvement de Romain et sans trop vouloir verser dans l'optimisme et l'euphorie, je commence à espérer qu'il n'a pas été enlevé.

Que pourraient gagner des ravisseurs à kidnapper des soldats belges ? Rien.

Dans ces pays bien souvent, comme le signalaient divers sites web, il s'agissait souvent d'humanitaires ou de journalistes qui étaient enlevés.

Je tape plusieurs mots clé dans Google et je ne trouve rien. Je renouvelle l'opération à plusieurs reprises mais sans succès.

Apparemment aucun militaire n'a jamais été enlevé là-bas.

Je regarde l'horloge accrochée au mur de la cuisine et malgré l'heure tardive, ou plutôt l'heure matinale puisque il est trois heures du matin, je rédige un long, un très long mail à Grégoire pour lui faire part de mes théories. Si je ne peux entrer en contact personnellement avec l'état-major qui gère la composante Terre à laquelle Romain appartient, je peux au moins expliquer à son frère le résultat de mes recherches.

Juste avant d'envoyer mon mail, j'hésite un instant. Je suis stupide. L'Armée a lancé une enquête au sujet de la disparition de Romain. Ils ont forcément compris la même chose que moi. Enfin...j'espère.

Mais je ne peux pas rester là à ne rien faire. Et au moins j'ai le sentiment de ne pas être totalement inutile.


Revivre...après l'enfer (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant