Find Me

38.

Je gelai. Le soir tombait et le froid devenait d'autant plus mordant. Je n'avais plus de manteau ou d'écharpe. Mon pull ne suffisait plus à me protéger. Surtout depuis que j'avais arrêté de courir. Je ne savais pas où j'étais. Je ne savais pas où j'allais. Je suivais la bande de bitume sans réfléchir. Il finirait bien par y avoir une voiture qui passerait et me sauverait.

J'avais l'impression de marcher depuis des heures sans m'éloigner de la maison. Alice devait être descendue depuis le temps. Elle devait être juste derrière moi. Elle devait avoir sa voiture. Bordel ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé ?! Pourquoi n'avais-je pas été chercher sa voiture ?! Je doutais qu'elle ait laissé les clés sur le contact, toutefois.

De toute façon, il était trop tard.

Mon corps se déconnectait doucement mais sûrement de mon cerveau. Au départ, j'avais souffert le martyr à chaque pas. Maintenant, tout était flou et cotonneux. Mais j'avançais. C'était tout ce qui comptait. Chaque pas me rapprochait d'une ville, de quelqu'un, d'un sauvetage.

Pour la première fois de ma vie, j'avais besoin d'être sauvée. Je m'étais toujours targuée de ne pas être une demoiselle en détresse, de n'avoir besoin de personne. La vie me prouvait que j'avais tort et me faisait payer mon orgueil.

J'avais fouillé mes poches dans l'espoir qu'Alice ait oublié mon portable. Je n'avais rien trouvé. Pas même mes clés. Je ne pouvais même pas rentrer chez moi si j'arrivais à rejoindre Lawrence. Et je doutais de jamais revoir mon appartement, mes amis, mon petit ami. Alice n'allait plus tarder et je n'avais plus la force de lutter.

Je trébuchai et je faillis m'écrouler à terre. Je ne saurais pas dire comment je parvins à rester debout. Sûrement la terreur de ne pas savoir me relever si je tombais. Si mes jambes cédaient, je n'aurais jamais la force suffisante pour me remettre debout. Je devais continuer à avancer. Ne pas tomber. Continuer et ne pas tomber.

La pluie se remit à tomber. C'était bien ce qu'il me manquait. Une pluie givrante, si froide qu'elle me brûlait le visage et les bras. J'avais si froid que je ne tremblais même plus. J'étais devenue un automate dont la seule fonction était d'avancer en ligne droite. De fuir aussi loin que possible.

Le seul bienfait de cette météo fut que j'arrêtai de saigner. Mes poignets se couvrirent d'une épaisse croûte rougeâtre affreusement douloureuse. Ça me démangeait, me rendait dingue. Je devais garder mes mains dans mes poches pour ne pas me gratter et arracher les croûtes et recommencer à me vider de mon sang.

Je frémis lorsqu'un véhicule passa à côté de moi, soulevant un vent froid. Je cillai, me frottant les yeux. Je n'hallucinais pas, n'est-ce pas ? Il y avait bien une voiture qui venait de passer à côté de moi ?

Je clignai plusieurs fois des yeux, laissant mon regard glisser sur l'énorme pick-up bleu qui s'était arrêté quelques mètres plus loin. Au prix d'un effort énorme, je levai le bras pour attirer son attention. Un homme sortit du pick-up et s'approcha. Il me parla mais je ne compris pas un traître mot de ce qu'il dit. Il me prit par le coude et m'emmena jusqu'à son véhicule, m'ouvrant la portière pour que je puisse me hisser sur le siège passager.

Il faisait une chaleur insoutenable dans l'habitacle. Ma peau prit feu et j'eus envie de fuir. Mais je restai là, assise, raide. L'homme remonta derrière le volant et reprit la route après avoir attaché ma ceinture.

- Je vous emmène à l'hôpital, dit-il. Je ne sais pas ce qu'il vous est arrivé mais il vous faut un médecin.

- C'est Alice... soufflai-je. Dites-leur que... que c'est... Alice...

- Alice ? La personne qui vous a fait ça s'appelle Alice ?

Je hochai vaguement la tête. Mon champ de vision rétrécissait dangereusement. Je ne pouvais pas perdre connaissance. Je ne devais pas perdre connaissance. Il fallait que je tienne le choc. Au moins jusqu'à ce que je vois Andrews. Il fallait que je le dise à Andrews.