Les cinq gouverneurs

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Lî-fènê, l'immense et légendaire cité ! La cité perdue au cœur de la jungle dont nul ne connaissait l'emplacement et où nul n'avait le droit de pénétrer, exceptés les cinq grands dirigeants sozyès.C'était là en effet qu'ils se réunissaient pour parler des affaires les plus secrètes du royaume. Et en cette brillante après-midi nimbée de soleil, celle qui les préoccupait était particulièrement grave.

Tous cinq avaient donc fait le chemin, depuis chacune de leurs contrées, pour venir se retrouver ici, dans le palais situé au centre de la ville. Orné de bas-reliefs, de colonnades, de linteaux scupltés et de frises richement ouvragées, ce monumental édifice était le mieux conservé de tout Lî-fènê. Les trônes des cinq dirigeants, disposés en pentagone, se trouvaient dans la salle centrale, dont le plafond était percé de fenêtres circulaires pour faire descendre une coulée de lumière sur chacun des trônes. Ceux-ci arboraient de curieuses formes. Taillés dans la pierre, ils représentaient en fait cinq énormes têtes d'animaux sculptés la gueule ouverte, un piranha, un ocelot, un condor, une tarentule, un caïman. Çà et là, quelques plantes grimpantes s'enroulaient autour des colonnes et des poutres.

Ce jour-là, le premier gouverneur à arriver fut celui de la région Ouest. C'était un homme svelte dont la longue tresse de cheveux noirs s'achevait par un morceau de cristal taillé gros comme une pomme. Une cicatrice rouge, verticale, marquait son visage mince sous l'œil droit. Il s'appelait Zasanjal Larme de Sang et il alla s'asseoir dans la gueule de l'ocelot.

Le second dirigeant vint peu après. C'était une femme nommée Ilsifa Réflexes de Serpent. Son épaisse chevelure brune se mêlait de fils d'or et de cuivre qui la faisait étinceler. Chacun de ses doigts soutenait une bague, et elle portait des poignets de force. Elle gouvernait la région Est et siégeait entre les mandibules de la tarentule.

Arriva ensuite un homme de taille moyenne, dont les yeux bleu marine étaient surmontés de cheveux frisés et soulignés d'un peu de barbe. C'était Mian-Meh le Moine Mystérieux. Commandant la région Nord, il marcha d'un pas égal jusqu'à la gueule du piranha.

Puis apparu Lyan le Prince Paré de Pourpre, gouverneur de la région Sud, vêtu comme à son habitude d'une ample cape rouge foncé dont il gardait constamment le capuchon rabattu, soigneusement attaché autour de son cou par un lien de cuir. Il prit place dans le bec du condor.

Hoh-Yawao Dent Dure se présenta le dernier. Comme Lî-fènê se situait dans la région Centre, son territoire, il considérait que cela lui donnait le droit d'arriver en retard. C'était un individu dont il n'y avait qu'à voir la silhouette pour comprendre qu'il mangeait plus que de raison, et dont il n'y avait qu'à croiser le regard pour se convaincre qu'il n'en était pas moins très dangereux. Il s'affala dans la gueule du caïman.

Suivit un silence.

L'usage voulait que ce soit le premier arrivé qui ouvre la séance. Zasanjal Larme de Sang salua donc ses compagnons puis dit:

« Nous sommes réunis ici aujourd'hui à l'initiative du Moine Mystérieux et de moi-même, pour vous faire part de certains événements intrigants survenus dans nos deux régions au cours de ces derniers mois. Il s'agit de meurtres et de disparitions inexpliqués.

- Qu'entendez-vous par là au juste, Larme de Sang ? s'enquit Hoh-Yawao de sa voix rauque.

- Exactement ce que je viens de dire, Dent-Dure. Des cadavres que l'on retrouve, tués sans raison apparente. Des gens qui disparaissent sans laisser de traces et qu'on ne revoit plus nulle part. Une enquête menée auprès des paysans et des basses classes populaires a permis d'établir que ces événements durent depuis plusieurs mois déjà. Mais récemment, ce sont des hauts gradés et des personnalités importantes qui ont commencé à se volatiliser.

- Mon propre chef de la sécurité n'a par exemple plus donné signe de vie depuis deux semaines, intervint Mian-Meh le Moine Mystérieux depuis la bouche du piranha.

-Eh bien ce n'est pas une grande perte. Que vaut un chef de la sécurité qui n'est pas capable d'assurer sa propre sécurité ? » ironisa Ilsifa Réflexes de Serpent.

Il y eut un murmure d'approbation général. Cependant Mian-Meh rétorqua:

« Mais moi je souhaite le garder à mon service.

-A votre guise, Moine Mystérieux. Encore faudrait-il qu'il revienne.

- Ce qui nous amène à l'objet de notre réunion, reprit Zasanjal Larme de Sang. Qu'est-il arrivé à toutes ces personnes ? »



Complainte d'une fresque oubliée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant